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Quand un ministre en éclipse un autre...

 

Avant Freycinet : Becquey

En 1821, un ministre lance un vaste programme de modernisation du réseau navigable français. C’est une réussite. L’idée sera reprise soixante ans plus tard par un certain Freycinet…

 Becquey

Portrait (lithographie de Engelmann) de Louis Becquey aimablement transmis par Solange Becquey, son arrière-arrière-petite-nièce, que nous remercions.

  

« Jamais époque ne fut plus favorable à la construction des voies navigables » écrit L.J.Gras en 1926. Gras parle ainsi de la Restauration. À la révolution politique a succédé la révolution industrielle et avec elle la France change réellement d’époque.

 

Une industrie en plein essor

En ce début de XIXe siècle, il y a tout juste 200 ans, l’industrie naissante a déjà de gros besoins. Elle s’appuie d’une part sur la machine à vapeur initiée un siècle auparavant par Denis Papin et mise au point par Thomas Newcomen et James Watt, et d’autre part sur son principal combustible, la houille. Avec cet outil utilisable à volonté, l’industrie peut s’affranchir des moteurs naturels que sont depuis des millénaires l’eau, le vent, et la force animale et humaine. Elle peut s’implanter n’importe où, tout près des sites d’exploitation des matières premières, sans trop se soucier des réserves d’énergie locales, l’eau en particulier, que les chaudières des machines à vapeur consommeront de façon bien plus optimale que les roues des moulins.

Cependant, cette industrie devra s’établir au plus près des voies de communication, car l’approvisionnement en combustible et en produits de base (minéraux, argile…) et l’exportation des produits finis exigent des moyens de transport lourd fiables et performants en toutes saisons. Et à cette époque, seule la voie d’eau répond à cette exigence. Encore n’y répond-elle que très imparfaitement, avec des rivières navigables 4 à 6 mois par an reliées par des canaux aux gabarits disparates. C’est le constat que fait Louis Becquey, nommé en 1817 au poste de Directeur des Ponts et Chaussées et des Mines, nous dirions aujourd’hui Ministre des Transports.

 

L'ancein canal de Briare à Châtillon-Coligny. L'entrée de l'écluse se devine sous les arbres

 

François-Louis-Marie Becquey

Le petit François-Louis-Marie nait en 1760 dans une cité déjà batelière : Vitry-le-François, sur la Marne. Il commence sa carrière comme procureur-général-syndic du département de la Haute-Marne où, lors de la Révolution, une polémique l’oppose à l’évêque de Langres Mgr Laluzerne, partisan de certaines concessions à la Constitution. L’ardeur révolutionnaire de Becquey est des plus tempérées : élu député de la Haute-Marne en 1791, il est bien plus proche de la famille royale que des républicains. Il est contre la guerre à l’Autriche en 1792. Sa prudence l’amène à se cacher et il lui doit de ne pas gravir la « rue de Monte-à-Regret » pendant la Terreur. Agent royaliste sous le Directoire, il est nommé conseiller ordinaire de l'Université en 1810, et abandonne la contre-révolution. En 1814, sous la Première Restauration, il est Directeur Général du Commerce puis, en 1815, il retrouve son siège de député de la Haute-Marne. Enfin, en 1817, il succède à Louis-Mathieu Molé à la direction des Ponts et Chaussées et des Mines, poste qu’il occupera jusqu’en mai 1830. Il a alors 70 ans et prend sa retraite en mai 1830 le jour-même où Charles X, transformant la Direction des Ponts et Chaussées en ministère à part entière, le nomme Ministre d’Etat *. Entre-temps, en 1826, il est président de la Société de Géographie. Il décède à Paris en 1849.

 

Rivières et canaux en France en 1817. Les canaux sont en jaune

Sur cette carte sont ajoutés, en jaune pointillés, les canaux en chantier en 1817

Etat des lieux

Quel réseau navigable trouve alors Becquey en 1817 ?
Tout d’abord des rivières à courant libre ou très faiblement équipées qui n’ont d’autres équipements que des structures portuaires plus ou moins élaborées, mais aucun, ou presque, ouvrage de franchissement de dénivelé, fussent-ils des pertuis. Ainsi les Loire, Allier, Garonne, Seine, Rhône, Saône, Oise… Leur navigation remonte pourtant à la nuit des temps et on s’est accommodé, tant bien que mal, de leur configuration difficile.
Ensuite des rivières plus ou moins sommairement canalisées, beaucoup avec seulement des pertuis, d’autres avec des écluses parfois encore archaïques. Elles sont moins importantes que les premières, mais leur cours émaillé de moulins a engendré cette canalisation plus ou moins poussée. Ainsi toutes les rivières du bouquet de la Maine, la Marne, les rivières du Nord et de l’Est, celles du sud-ouest (Lot et Tarn principalement) équipées sous Colbert d’écluses à poutrelles…
Enfin quelques canaux relient différents bassins. Celui de Briare travaille entre Loire et Loing depuis le milieu du XVIIe siècle, complété par ceux d’Orléans et du Loing au début du siècle suivant. Le canal du Midi joint la Méditerranée à la Garonne depuis 1682. Celui du Centre entre Saône et Loire et celui de Saint-Quentin entre Escaut et Oise n’ont respectivement que 23 et 7 ans. La plupart des rivières du Nord sont reliées perpendiculairement par des canaux de jonction par dérivation que permet le faible relief : canaux d’Aires, de Neuffossé, de Bergues… D’autres canaux d’importance locale complètent cette liste : Bruche en Alsace, Givors, Grave à Montpellier…
Il faut ajouter de grands chantiers ouverts mais non terminés, stoppés ou ralentis par la Révolution, ou ouverts juste après elle. Ils sont assez nombreux : canaux du Nivernais et de Bourgogne, canaux de Bretagne, de Berry, de l’Ourcq, du Rhône au Rhin

Comment Becquey, docteur en droit, arrive-t-il dans le monde fluvial ? Mystère. Il n'est pas ingénieur des Ponts-et-Chausées comme son cousin Becquey de Beaupré qui est peut-être le Becquey que l'on présente comme ayant travaillé vers 1800 sur le canal de Saint-Quentin comme ingénieur en chef, aux côtés d’Emiland Gauthey * , alors Inspecteur Général des Ponts et Chaussées. Néanmoins le domaine l'intéresse visiblement car il va y laisser une empreinte durable.
En 1820, Louis présente à Louis XVIII son « Rapport sur la Navigation Intérieure en France » qui donne le ton dès le second paragraphe : « Dans les gouvernements modernes, comme dans les anciens, on a senti qu'une des premières conditions de la civilisation, et qu'ensuite l'un de ses premiers avantages, consistaient dans l'étendue et la facilité des communications ». Becquey va donc s’attacher à améliorer ce réseau de bric et de broc. Et il va y parvenir en grande partie.

 

 

Les grandes lignes de navigation préconiées par Becquey

 

Le rapport au roi

Dans son rapport, Becquey s’appuie sur celui du voyage d’études en Angleterre que Joseph Dutens – qu’il ne nomme pas – a effectué deux ans auparavant. Le concepteur du canal de Berry présente en effet le système de canaux de petite et double sections, ainsi que le système de financement par compagnies privées concessionnaires, et Becquey reprend ces idées. Posant comme postulat qu’ « un canal ne doit pas être considéré isolément du système général dont il n’est le plus souvent qu’une ramification » et qu’ « il y a entre les différentes parties de ce système des relations essentielles, et (que) l’ouverture d’une nouvelle communication exerce une influence notable sur celles qui, déjà exécutées, s’y rattachent directement ou par l’intermédiaire d’une autre ligne » il prévoit un système de navigation basé sur sept lignes principales et des réseaux secondaires greffés dessus. Les lignes principales seraient en principe constituées de canaux et rivières de grande section, et les réseaux secondaires pourraient être en petite section, à l’imitation du système anglais.

 

Les deux premières grandes lignes de navigation de Becquey

 

Un pertuis sur le Loir, à Nogent. Le Loir n'a pas bénéficié du plan Becquey. Avant lui, beaucoup de rivières étaient ainsi sommairement canalisées.

 

Cinq de ces grandes lignes de jonction des deux mers ont pour tronc commun de départ l’axe Rhône-Saône. Ce sont :

1. par le Midi et l’Est de la France, par le futur canal du Rhône au Rhin (commencé), et le Rhin

2. par le Midi et le Nord, par le futur canal de Bourgogne (en chantier), l’Yonne, la Seine puis l’Oise, la partie aval du futur canal Latéral à l’Oise, dite « canal de Manicamp », le canal de Saint-Quentin (ouvert en 1810), les canaux de la Somme et de l’Escaut et leurs ramifications.

3. par le Midi et le Nord en passant par le Centre, par le canal du Centre, le futur canal Latéral à la Loire, les canaux de Briare et du Loing, puis la Seine et l’Oise et les mêmes voies que la seconde ligne.

4. par le Midi et le Nord-Ouest, par le futur canal de Bourgogne (commencé), l’axe Yonne-Seine jusqu’au Havre.

5. du Midi à l’Ouest par le Centre, par le canal du Centre, le futur canal de Berry *, un canal Latéral à la basse Loire de Tours à Nantes (jamais réalisé), et le canal de Nantes à Brest (commencé).

 

Les trois lignes suivantes de Becquey

 

Les deux autres sont :

6. par le Midi et le Sud-Ouest, par les futurs canaux de Marseille au Rhône, un canal latéral au Rhône d’Arles à Beaucaire (jamais réalisé), le canal du Rhône à Sète (commencé), le canal du Midi, le futur canal Latéral à la Garonne (jusqu’à Moissac), et la Garonne elle-même.

7. de Dunkerque à Bayonne et Marseille, par le canal de Bourbourg puis l’Aa, le futur canal d’Aire à la Bassée, le canal de la Deûle, les futurs Scarpe canalisée et canal de la Sensée, l’Escaut, le canal de Saint-Quentin, l’Oise, un canal de l’Oise à la Seine (de l’Isle-Adam à Paris, jamais réalisé), les futurs canaux Saint-Denis et Saint-Martin (commencés), la haute Seine, les canaux du Loing et d’Orléans, la Loire d’Orléans à Candes-Saint-Martin, la Vienne jusqu’à Châtellerault, un canal du Poitou (de Châtellerault à la haute Charente, par le Clain, jamais réalisé), la haute Charente jusqu’à Angoulême, un canal d’Angoulême à Libourne (jamais réalisé), la Dordogne de Libourne à Cubzac, un canal de Cubzac à Bordeaux (évitant ainsi le Bec d’Ambès, jamais réalisé), la Garonne jusqu’au confluent de la Baïse puis, d’une part vers l’ouest, le futur canal des Landes (jamais fini), l’Adour jusqu’à Bayonne, et d’autre part vers l’est, les mêmes voies que la 6ème ligne jusqu’à Marseille.

 

Les deux dernières lignes de navigation de Becquey

 

Dans les réseaux secondaires, on trouve des voies à terminer ou réparer comme :

• la jonction de Niort à La Rochelle via la Sèvre et le futur canal de Marans

• le canal de Luçon à élargir

• le Layon, détruit pendant la Révolution, à restaurer

• le Blavet

• le canal d’Ille et Rance

• le canal de Saint-Maurice (que Becquey nomme « canal de Saint-Maur ») dans le cadre de la future canalisation de la Marne

• le canal de l’Ourcq qu’il prolongerait bien jusqu’à Soissons

• le canal de la haute Seine

• le canal des Salines de Dieuze

• le canal de la Bruche dû à Vauban

• le canal de Pont-de-Vaux

• les canaux de Sylveréal et de Bourgidou

• la Baïse de Nérac à Condom

• le canal du Nivernais

• des rivières comme la Charente, la Boutonne, le Lot, le Tarn

 

Le Lot à Luzech. Ou plus exactement le petit canal qui coupait l'isthme de la boucle de la rivière. Une réalisation due au programme Becquey.

 

Le volet financier du « plan Becquey »

À partir de ce rapport approuvé par Louis XVIII, Becquey élabore la série de lois qui vont constituer le « plan Becquey ». Elles sont promulguées le 5 août 1821 * et le 14 août 1822 et comportent un volet financier et un volet technique.
Le volet financier est un mélange d’emprunt et de concession. L’Etat incite à la création de compagnies pour financer les travaux dont l’Etat se charge. En retour celles-ci reçoivent la ou les voies d’eau, dont elles ont financé les travaux, en concession pour 50 ou 99 ans selon les accords. « L'État s'engageant sur des délais d'exécution et garantissant l'emprunt, les risques des compagnies sont nuls, et nous sommes loin des concessions habituelles « aux risques et périls », conclut Pierre Pinon dans « Un canal, des canaux » (1986)
Néanmoins, la prise en charge des travaux par l’Etat sera assez rapidement critiquée : « C'est aujourd'hui un des préceptes les plus accrédités du formulaire constitutionnel, que l'Etat est le pire des constructeurs » disent en 1828 Lamé, Clapeyron et les frères Flachat * dans leurs « Vues politiques et pratiques sur les travaux publics de France ». Néanmoins de nombreuses compagnies voient le jour, confiantes dans ce vaste projet. Citons par exemple :

• la Compagnie Magendie-Sion pour le canal Latéral à la Garonne,

• la Compagnie des Quatre Canaux pour ceux du Nivernais, de Bretagne, de Berry et Latéral à la Loire,

• la Compagnie Franco-Suisse pour celui de Roanne à Digoin,

• la Compagnie du Canal Monsieur pour le Rhône-Rhin,

• la Compagnie Jonas Hagerman pour le Bourgogne,

• la Compagnie des Salines de l'Est pour le canal de Dieuze,

• Alfred Mosselman pour les rivières et canaux du Cotentin *...

 

L'Isle à Périgueux

Le canal du Nivernais à Cercy-la-Tour. La longueur est juste suffisante pour le bateau berrichon sans qu'il ait besoin de rabattre ses raquettes.

 

Le volet technique du « plan Becquey »

Techniquement, le plan Becquey s’appuie sur deux idées-forces :

1. la modernisation de l’existant et l’extension du réseau par la création de nouvelles voies : canaux de jonction, canalisation de rivières, canaux latéraux quand celle-ci n’est pas possible. C’est la grande époque des canaux latéraux.

2. l’adoption générale d’un gabarit uniforme minimum, sauf pour les voies secondaires où on adoptera éventuellement un gabarit deux fois moindre.

Ce gabarit sera le « gabarit Becquey » aux dimensions minima utiles suivantes :

• longueur 30,40 m
• largeur 5,20 m
• mouillage 1,60 m (pour un tirant d’eau de 1,20 m)
• hauteur libre sous ouvrages 3,00 m

Les bateaux circuleront avec 150 tonnes à l’enfoncement de 1,20 m. Comparé aux 80 tonnes maximum que peut porter un chaland de Loire par exemple, c’est un progrès remarquable, d’autant que le canal pourra assurer un transport en toutes saisons, dans des conditions de sécurité maximales en principe. De plus, le bateau de canal nécessite une main d’œuvre bien moindre que celui de rivière : deux bonshommes suffisent, un sur chaque rive, pour haler le bateau. Becquey dote ainsi l’industrie d’un outil de développement performant, et plus de 3000 kilomètres de voies navigables lui doivent d’exister. C’est considérable.

 

Au contraire du Loir, la Mayenne (ici à Montreuil et Laval), la Sarthe et l'Oudon ont bénéficié du programme Becquey

 

Les travaux

Bien sûr, les anciens grands canaux seront modernisés, sauf le canal du Midi dont le gabarit est déjà supérieur en largeur, même si légèrement inférieur en longueur (29,25 m sur 5,50 m). C’est ce qui explique, par exemple, les enclaves de portes surnuméraires sur les écluses multiples de Rogny et de Moulin-Brûlé, sur le canal de Briare, élargies puis allongées dans les années 1830. Certains canaux en chantier seront refaits, comme les canaux de Bourgogne et du Nivernais. D’autres non, comme les canaux bretons commencés sous Napoléon 1er. Le canal de Berry illustre le principe de voies moitié moins larges, dont les bateaux pourraient naviguer à couple sur les canaux larges. Mais Dutens commet l’erreur de donner à ses écluses la largeur de 2,70 m au lieu des 2,60 m prévus à l’origine.
Les rivières, notamment en Anjou et en Gascogne, bénéficient de gros travaux : le Lot est canalisé sur 256 km, le Tarn sur 147 km, l’Isle sur 112 km. De même, le Dropt, la Baïse reçoivent des écluses pour remplacer les anciens passelis et pertuis , comme la Mayenne et la Sarthe.
Même s'il recommandait à ses ingénieurs « N'oublions pas surtout que ce ne sont pas des monuments que nous avons à construire, mais des ouvrages essentiellement utiles, et que le caractère de pareils ouvrages ne doit être ni le luxe, ni la munificence », les réalisations de cette époque sont souvent remarquables par leurs qualités techniques et esthétiques. Ce souci d’économie est surtout ressenti dans les maisons éclusières : « Dans tous les cas, de tous les ouvrages qui composent le système d'une écluse, la maison éclusière sera le dernier dont l'entrepreneur devra s'occuper » consigne Becquey. Parfois, et heureusement, l’architecte oubliera cette consigne, comme sur le Cher dont les maisons ont une allure de petit château.

 

 

Le Tarn à Gaillac

Principe de l'allongement d'une écluse multiple

Les écluses multiples de Moulin-Brûlé (ci-dessus) et Rogny (ci-dessous) sur le canal de Briare. Les enclaves de vantaux surnuméraires, par suite du déplacement des portes dans le cadre de l'allongement au gabarit Becquey, apparaissent bien. (Promener la souris sur les images)

 

Une innovation capitale

Cerise sur le gâteau, c’est au cours de cette période d’extension massive du réseau navigable qu’une innovation technique va encore donner un coup de pouce à cette extension. En 1834, Charles Poirée, ingénieur en poste sur la haute Seine, expérimente le barrage mobile à fermettes et aiguilles sur l’Yonne, à Basseville, pour une traversée de la rivière par le canal du Nivernais en cours d’achèvement. Cela va permettre de canaliser en douceur les grandes rivières de plaine comme la Seine, la Marne, l'Yonne, l’Oise, la Moselle, la Saône, l’Aisne, la Somme… et favoriser le développement de la « grande batellerie ». Même s’il est en retraite alors, Becquey a la satisfaction de voir son grand œuvre se poursuivre de façon exponentielle. Il se poursuivra même bien après son décès en 1849.

 

Le barrage éclusé de Rochepinard, sur le Cher. Remarquer au passage l'élégance de la maison éclusière.

 

La « Jument Noire »

Becquey pouvait difficilement le prévoir : à peine son plan est-il lancé, et les premières compagnies se constituent-elles, qu’arrive un nouveau mode de transport. Dès 1827, le Forez accueille les premières voies ferrées continentales * qui apportent le charbon stéphanois aux sapines de la Loire. Le nouveau-né ne balbutie pas longtemps : 20 ans plus tard sa toile couvre tout le pays et les compagnies de chemin de fer mettent la plus évidente mauvaise volonté à collaborer avec la voie d’eau, plutôt désireuses de l’évincer que de travailler avec elle. Ceci amènera l’Etat à racheter les « concessions Becquey » dès les années 1850 : il va moderniser encore les voies d’eau afin de maintenir une saine concurrence, voire même promouvoir une synergie fructueuse entre les deux modes de transport. Ce sera le travail d’un successeur de Becquey qui occultera jusqu’à sa mémoire : Freycinet.

 

L'écluse de la Folie, sur le tracé d'origine du canal Latéral à la Loire à Châtillon-sur-Loire. Une réalisation de Becquey.

Toujours sur le tracé d'origine du canal Latéral à la Loire à Châtillon-sur-Loire, l'écluse de Mantelots.

 

Une injustice

…Cet oubli du nom de Becquey est plus qu’injuste. En effet, nous devons aujourd’hui à ce serviteur de l’Etat la plus grande partie de notre réseau actuel, dont il avait une vision d’ensemble cohérente et unifiée : de nombreuses rivières canalisées, la plupart des canaux latéraux, et de nouveaux canaux de jonction lui doivent d’exister. Sans Becquey, notre réseau navigable aurait été en retard sur le reste de l’Europe dès 1820, sans avoir à attendre la seconde moitié du XXe siècle pour ça...

ChB

 

Ancienne écluse de Chambilly, sur le canal de Roanne à Digoin

 

Où voir du gabarit Becquey aujourd’hui ?

Bien que la majeure partie du réseau soit passée au gabarit Freycinet à la fin du XIXe siècle, il est possible de voir encore « du Becquey » sur de nombreuses voies d’eau, abandonnées ou non, principalement :

• tout le bassin de la Maine, le Cher, la Dive, le Pays de Retz

• le Marais Poitevin, la Charente et la Boutonne

• la plupart des rivières d’Aquitaine (Lot, Tarn, Isle…)

• la partie de Cercy-la-Tour à Sardy du canal du Nivernais, et les écluses de Montech du canal de Garonne

• plusieurs embranchements du canal Latéral à la Loire et le « canal Henri IV » à Briare

• la Seille (sauf l’écluse de la Truchère)

• le versant Seine du canal d’Orléans

• le canal de la Haute Seine

…et ici et là des écluses abandonnées sur des portions de canal rescindées, comme à Chambilly sur Roanne-Digoin ou Rogny et Moulin-Brûlé sur le Briare

 

Le canal de la Haute Seine à Troyes. Cette écluse a disparu sous un boulevard.

 

 

* L.J.Gras était secrétaire général de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Saint-Etienne, et professeur d’économie industrielle à l’Ecole des Mines. Il écrit ces lignes dans « Le Forez et le Jarez navigables » publié après sa mort en 1930. (Retour au texte)

* Depuis 1791, les Ponts et Chaussées dépendent du Ministère de l’Intérieur. (Retour au texte)

* Doit-on rappeler qu’il est l’auteur du canal du Centre ? (Retour au texte)

* À ce moment, il comprend ce qui sera par la suite la moitié amont du canal Latéral à la Loire, de Digoin au Guétin. (Retour au texte)

* Curieusement, c’est aussi un 5 août que la loi Freycinet sera adoptée en 1879… (Retour au texte)

* Eugène Flachat critiquera très sévèrement la conception du canal de Berry en 1842, dans un rapport demandé par la Compagnie des Quatre Canaux. (Retour au texte)

* Pour ceux-ci (Vire, Soulles, Taute et canal de Vire-et-Taute), l’on adoptera un gabarit proche du « double narrow-boat » anglais : 20 à 23 m par 4,20 m. (Retour au texte)

* La Dordogne ne bénéficie pas d’une canalisation aussi poussée : une écluse à Bergerac, et le canal de Lalinde avec ses 5 écluses dont deux triples. (Retour au texte)

* Le « railway » existe déjà en Grande-Bretagne depuis le début du XIXe siècle. Dutens en fait état dans son rapport de 1818. La première concession ferroviaire continentale, Saint-Etienne-Andrézieux, est accordée le 26 février 1823. (Retour au texte)

 

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