(Article en
chantier)
La Brigade Fluviale
Cet
article a été achevé en mars 2011 à Kanazawa. Il est dédié aux victimes
du tsunami qui a ravagé le pays. L’auteur remercie M. Bernard LESUEUR
dont les travaux sur l’histoire de la navigation fluviale ont été exploités
pour la rédaction de cet article et M. HANZAWA Eichii pour notre passion
commune de l’histoire. Je remercie M. Charles BERG d’avoir accepté d’héberger
cet historique de la brigade fluviale.
Rémy VALAT
La police fluviale : la méconnue de la Seine
1ère partie. Des origines a la brigade fluviale (13e siècle-1900).
a. Policer la navigation de la Seine : un enjeu politique et économique
majeurs
Paris, capitale de la France, reste un enjeu politique, économique
et social majeur. Son fleuve, la Seine, a été pendant de longues années
une artère économique vitale. Sur ses berges nourricières se sont bâtis
un port, une économie et une société avec un réseau de sociabilité
singulier.
L’importante concentration humaine de la cité laisse en l’état de latence
le risque d’une contestation du pouvoir politique en cas de mécontentement
populaire consécutif à une pénurie alimentaire. L’histoire de Paris
est jalonnée de telles émotions, et il n’est pas surprenant de constater
le soin apporté par les pouvoirs publics à la sûreté de son approvisionnement.
L’origine géographique des produits transportés est variée. Les marchandises
proviennent de régions éloignées de Paris et sont fréquemment acheminées
sur les affluents de la Seine. C’est pourquoi, les pouvoirs publics
ont
de tout temps pris en considération l’intégralité du réseau hydrographique.
Parmi les produits alimentaires les plus importants et les plus recherchés
de l’Ancien Régime au 19e siècle, figurent, en premiers chefs et par
ordre de priorité, le blé, pour la fabrication du pain, la viande,
le vin et le poisson. À l’exception de la viande et du poisson de mer,
acheminés
par voie terrestre, le blé et le vin sont transportés par les cours
d’eau pénétrant dans l’espace parisien (La Marne et la Seine). Le blé
provient
de la Beauce, du Valois, du Soissonnais et de la Brie pour être vendu
sur les marchés de Grève ou de la Juiverie . Le vin, avec la diminution
de la production locale, vient notamment du vignoble bourguignon. Ce
produit fortement taxé était à l’origine débarqué sur le marché de
Grève, puis sur le quai Saint-Bernard (1664) . Le fleuve permet aussi
l’arrivage
de matériaux de construction (bois, plâtre, etc.), du fourrage pour
les chevaux et des combustibles (bois, charbon de terre ou de bois
, pétrole),
précieux pour le chauffage de la population et comme matière première
d’une industrie naissante (qui quittera progressivement l’espace urbain
de la capitale au 19e siècle).Ce trafic incessant est jusqu’au premier tiers du 20e
siècle une source de revenu appréciable pour la municipalité parisienne,
puisque les produits entrant dans la cité sont taxés .
La dangerosité de la Seine rendait le commerce fluvial périlleux jusqu’à
la canalisation de la Seine et l’apparition de la vapeur (vers 1840).
Les zones ou les bateliers « marchent en rac » sont entrecoupées d’obstacles
naturels ou construits. Ces inconvénients assurent la subsistance de
nombreuses corporations, de commerçants et d’ouvriers de la navigation
. Ces petits métiers ont certes leur utilité, mais deviennent parfois
parasitaires en augmentant les coûts du transport. Les chefs de ponts,
par exemple, aident au franchissement sous ces ouvrages d'art et, au
prétexte de la responsabilité financière qui leur incombe en cas d’accident
ou de naufrage, sur-tarifent leurs prestations tout en se désintéressant
des préjudices qu’auraient à subir les mariniers. Le fleuve et ses
abords fourmillent également de bâtis flottants fixes ou mobiles, tels
les bateaux-lavoirs,
les bateaux-bains, les chalands, les trains de bois flotté, etc. Grâce
aux progrès de la machine à vapeur, le trafic de la Seine, devenu encore
plus
sûr, connaît un accroissement significatif : 35 000 bateaux en 1863
jusqu’à l’apogée de 1913 avec 67 300 navires enregistrés. Les services
de l’Inspection
générale de la navigation constatent une hausse du trafic dans la double
décennie 1820-1840, qui engorge l’activité de ces bureaux. Le nombre
des bâtiments enregistré évolue sensiblement, comme l’état statistique
du rapport de l’inspection générale au préfet de police du 26 avril
1843 [voir encart no 1].L’exposition universelle de 1900 est l’un des
records
du trafic fluvial avec 3 905 092 tonnes déplacées dans Paris et 9 946
117 dans le département de la Seine, sans compter les 42 191 987 voyageurs
transportés. L’essor économique est tel que des encombrements surviennent
sur les eaux aux entrées de la capitale .
En réponse à l’accroissement de la consommation des ménages et de l’industrie,
les transports fluviaux s’adaptent : les progrès techniques et l’amélioration
du mouillage favorisent le transport d’un plus important volume de
marchandise par bâtiment. Les péniches flamandes du deuxième tiers
du 19e siècle
avec leur capacité de 280 à 350 tonnes, sont supplantées par la capacité
des navires à vapeur , capables à partir des années 1890, d’emporter
un tonnage double (750 tonnes) . La navigation à vapeur et le touage
entraînent des conflits sociaux, puisqu’ils condamnent à la disparition
de nombreux petits métiers associés aux modes traditionnels de navigation
(les haleurs, les chefs de ponts et les billeurs) et aux activités
commerciales induites (les aubergistes ). La crise des années 1930
annonce le déclin
du trafic fluvial : on ne compte plus que 33 600 navires en 1938. L’exode
de l’industrie vers la banlieue et les nouveaux visages de l’économie
moderne ont sensiblement modifié l’organisation du commerce fluvial.
Depuis 1968, celle-ci repose sur un établissement public de l’État,
sous tutelle du ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement
durable
et de l’Aménagement du Territoire : le Port autonome de Paris . Sa
mission est essentiellement tournée sur le développement économique
régional
et le respect de l’environnement. Désormais, les ports, comme les industries,
sont éloignés de Paris (Bonneuil-sur-Marne, Bruyères-sur-Oise, Conflans-fin-d’Oise,
Dammarie-lès-Lys, Evry, Gennevilliers , Lagny-Saint-Thibault-les-Vignes,
Limay-Porcheville, Montereau, Saint-Ouen-L’Aumône) et mieux intégrés
au commerce international (Paris est le deuxième port fluvial d’Europe)
. Après une période de déclin, le commerce fluvial connaît actuellement
un nouvel essor et est promis à un bel avenir en raison de la crise
économique et écologique internationale contemporaine : le fleuve a
drainé 22 millions
de tonnes de marchandises en 2007 et ces chiffres devraient doubler
dans les dix prochaines années.
En définitive, l’histoire du trafic fluvial sur la Seine démontre que
l’enjeu de celui-ci est politico-économique et intimement lié à une définition
de l’espace et de « lieux centraux ». Chaque cité a une ou plusieurs
zones d’influence et d’intérêt politique, économique et social. Paris,
capitale d’un pays centralisé, n’échappe pas à cette règle. Pour assurer
son ravitaillement, l’État va octroyer des compétences de police exceptionnelles
aux pouvoirs publics de la cité.
b. L’institutionnalisation de la police de la navigation sur la Seine
: une prérogative muncipale (13e siècle-1799)
La police du fleuve incombait à la juridiction et à la municipalité
parisienne, institutions juridiquement, organiquement liées et contrôlées
par des commerçants,
puisant leur richesse du trafic fluvial. Ce sont donc les intérêts économiques
et corporatistes de la hanse des marchands de l’eau et de la municipalité
de Paris , qui ont favorisé le développement d’une surveillance du
fleuve et des
lieux d’échanges afférents. De fait, la hanse des marchands de l’eau jouit
d’un droit de police de la Seine entre Paris et le pont de Mantes. Ce droit
réglemente les échanges commerciaux entre les cités de Paris, de Rouen et
de la Bourgogne afin de limiter les effets de la concurrence . De cette
période
daterait la définition d’un vaste espace fluvial voué au ravitaillement de
la capitale faisant l’objet d’une jalouse attention des administrations royale
et parisienne. Enfin, la hanse bénéficie d’un droit de prélèvement fiscal
sur des catégories de produits échangés dans la cité pour assurer l’aménagement
et l’entretien
des ports et de l’administration de métiers liés au fleuve, en contre partie
d’une rente versée au souverain .
En l’absence d’une séparation entre les pouvoirs de police et de justice,
les infractions relevées aux règlements et aux coutumes régentant la police
de
la navigation et des ports parisiens, sont jugées par le Parloir au Bourgeois,
tribunal placé sous l’autorité du prévôt des marchands et des échevins. Dès
la fin du 13e siècle, cette juridiction, à l’instar de la prévôté du comté
et vicomté de Paris, dispose d’une force publique : une milice recrutée dans
les quartiers parisiens. Au début du 15e siècle, les corps de surveillance
de la cité se divisent en une formation de six sergents du parloir au bourgeois
et en un groupe de quatre sergents de la marchandise (ou sergents de l’eau).
Ces hommes sont chargés du contrôle de la qualité , de la protection des
marchandises acheminées, de la police du port de Paris et du réseau hydrographique
au-delà
des murs d’enceinte sur les rivières de l’Oise, de la Marne et de l’Yonne.
Ces sergents compensent leur faible nombre par leur zèle quotidien, stimulé
par un intéressement
financier sur les bénéfices de justice. Enfin, les ouvriers et les patrons
des métiers de la navigation participent à la surveillance de la cité et
sont soumis à une police interne, s’articulant autour des confréries religieuses,
de statuts corporatifs et d’un personnel chargé de faire régner la discipline
et de constater les infractions (maîtres de métiers, prud’hommes).
Au 17e siècle, un conflit d’autorité oppose la prévôté des marchands à la
lieutenance civile pour le contrôle de l’approvisionnement de Paris qui amorce
le processus
d'étatisation de la police de l'eau. Le Parlement laisse la police fluviale
et le contrôle du ravitaillement par voie d’eau entre les mains de la municipalité
et octroie celui de l’approvisionnement terrestre au lieutenant civil et
aux officiers du Châtelet (1661) . À partir de 1667, l’autorité du lieutenant
de
police, Gabriel-Nicolas de La Reynie, s’étend au domaine fluvial, mais entre
sur ce point en conflit avec la prévôté des marchands et à l’échevinat qui
lui dispute certaines attributions et domaines de compétence , mal départagés
par les textes jusqu’en 1700 . Les tentatives de conciliations ne mettent
pas un terme à la rivalité entre les deux administrations. Les rives du fleuve,
les ports et la place de Grève relèvent concurremment de la Ville, pour la
police de la navigation, et de la lieutenance de police, en matière de sûreté.
Néanmoins,
signe des temps, le lieutenant de police obtient du roi, un renforcement
de son autorité et un élargissement de ses compétences : en 1774, devenu
lieutenant-général
de police, La Reynie, dispose d’un pouvoir de réquisition sur l’ensemble
du royaume en cas de pénurie alimentaire dans la capitale. Louis XIV, profondément
marqué par le souvenir de la Fronde et de sa fuite à Saint-Germain (nuit
du
5 au 6 janvier 1649), tient absolument à contrôler le « ventre de Paris »,
afin d’éviter toute sédition . Enfin, sous l’impulsion de Colbert, la magistrature
de La Reynie est aussi une période d’effort de réglementation (ordonnances
de 1669 et 1672) qui met l’accent sur la prévention, par la sensibilisation,
l’éducation, voire l’incitation. La population de Paris est investie d’un
service public en cas de risques majeurs, principalement les incendies et
les crues,
et tout manquement est financièrement sanctionné . La lieutenance générale
de police se charge de la police de la pêche, de la santé et de l’environnement, et prévient les pollutions du fleuve, notamment par les tanneurs et les mégissiers.
Au cours de la même période, apparaissent des unités de surveillance de la
Seine qui relèvent de la prévôté de Paris (1690) , dont les compétences deviennent
progressivement équivalentes à celles d’un inspecteur de police (1706), encadrés
par soixante inspecteurs des ports, à partir de 1705.
La Révolution française modifie l’organisation des pouvoirs de police dans
la capitale : la police de la navigation et des ports et ses services, réorganisée
en 1789-1790, échoit à la municipalité (jusqu’en 1795), puis au canton de
Paris (1795-1799) . Le département de police et les comités de police qui
se succèdent
jusqu’à Thermidor fonctionnent grâce à un personnel élu et spécialisé (commissaires,
inspecteurs et officiers de paix) ayant un pouvoir de réquisition de la force
publique, essentiellement la Garde nationale en temps ordinaire. La Garde
nationale, dont une partie des hommes est soldée, procède aux patrouilles
sur la voie
publique et sur les quais de la Seine. Au début du Consulat, les fondements
de la police de la navigation sont enracinés dans la tradition administrative.
Mais le conflit d’autorité pour la gestion de la police de la navigation
demeure et ne connaîtra sa conclusion qu’en 1935. La police de la navigation
change
de visage au 19e siècle. L’administration fait alors un effort de rationalisation
réglementaire et d’adaptation aux progrès de la navigation et aux bouleversements
économiques et sociaux qu’il engendre.
c. La préfecture de police et la main mise de l’État : l’Inspection générale
de la navigation et des ports
Sous le Consulat et l’Empire les pouvoirs policiers, essentiellement municipaux
pour le domaine fluvial, sont transférés à l'État qui renforce son autorité
administrative sur tout le sol français, eaux territoriales incluses (création
des préfectures de départements et des préfectures maritimes ). La préfecture
de police est créée par le Premier Consul, le 1er juillet 1800 (12 messidor
an VIII). Par les articles 32 et 33 de la section 3, Police municipale, de
l’arrêté des consuls du 12 messidor an VIII, le préfet de police est spécialement
chargé de la surveillance des rivières, des chemins de halage et des ports
parisiens. Un service ad hoc de la préfecture de police, l’Inspection générale
de la navigation et des ports voit le jour le 26 octobre 1800 (4 brumaire
an IX) et rattaché au bureau de l’approvisionnement de la capitale de la
3e division.
Ces services s’occupent de la police économique et édilitaire. L’inspecteur
général est progressivement secondé, d’un inspecteur général adjoint , d’inspecteurs principaux,
d’inspecteurs principaux adjoints, d’inspecteurs et de personnels administratifs
(préposés aux arrivages , les dégustateurs , etc.). Ces fonctionnaires tiennent
quotidiennement à jour les registres de surveillance en y inscrivant les
événements particuliers survenus dans la journée ou la nuit . Les moyens
de contrôle et
d’intervention reposent sur un découpage territorial du domaine public fluvial
en inspections de la navigation . Ces dernières disposent de bureaux, situés
à proximité des lieux d’échanges et des garages agréés par l’administration
. Les inspecteurs principaux, assistés d’un ou deux inspecteurs, sont responsables
chacun d’un arrondissement de la navigation . Les quatre arrondissements
originels, limités à la ville intra-muros, sont portés à sept et leur domaine
étendu à
l’ensemble du département de la Seine en 1832, par annexion d’une partie
du domaine relevant du service extérieur (voir infra) . Chacun dispose de
bureaux
: l’inspection en totalise 13 en 1851 depuis la création d’arrondissements annexes . Le 10 février 1907, le 7e arrondissement est supprimé
et l’organisation des arrondissements modifiée [voir encart no 2].
Héritée de l’Ancien Régime, la zone d’influence de l’inspection dépasse largement
le département de la Seine. En effet, elle est complétée, depuis 1801, par
un service extérieur de la navigation , dont les personnels, rémunérés par
la Ville, veillent à l’approvisionnement de Paris par les voies navigables.
Vingt-cinq agents sont placés à la tête des neuf arrondissements de vingt-cinq
lieues de superficie qui recouvrent dix-huit départements. Ils surveillent
les rivières assurant le ravitaillement de Paris : la Seine, l’Aube, l’Yonne,
la Vienne, l’Eure, l’Allier, la Loire, la Marne, l’Aisne, l’Oise et les canaux
de Briare, Orléans, Loing, Saint-Quentin, Crozat et de l’Ourcq. Ces inspecteurs
veillent surtout à la régularité et à la sécurité du trafic. L’étendue du service
extérieur est réduite au début du 20e siècle en raison de l’importance prise
par la voie ferrée, puis par le transport routier.
Le corps des inspecteurs s’est spécialisé tout au long du 19e siècle. En
1837, face à l’accroissement des navires de transport à vapeur et en raison
des dangers
qu’ils font encourir aux usagers du fleuve, la préfecture de police renforce
les moyens de l’Inspection en nommant un agent spécialisé dans la surveillance
des bateaux à vapeur traversant les voies navigables du département . Autour
de ce fonctionnaire va s’agréger un petit service, dont les bureaux sont
réunis à ceux de l’inspecteur général. L’inspecteur de la navigation à vapeur
remplit
dans son domaine un rôle identique à ses collègues des arrondissements. Il
est responsable d’ « arrondissements spécifiques », appelés sections , et
siège avec l’inspecteur général, à la commission d’examen des candidats à
l’emploi
de mécanicien et de capitaine. En 1843, la préfecture de police renforce
la surveillance nocturne des berges et des ponts dans Paris principalement
pour
empêcher la contrebande . L’inspecteur de sûreté des ports et des berges
contraint les
mariniers contrevenants à s’amarrer et les conduit au poste de police le
plus près. Dépourvu de moyens propres, l’inspecteur peut cependant faire
appel aux
soldats de veille dans les postes situés le long du fleuve et réquisitionner
une embarcation pour s’emparer des fuyards et du fruit du braconnage .
La police de la navigation relève du domaine réglementaire et de la compilation
de coutumes, d’ordonnances et d’arrêtés anciens, produits pour la plupart
au début de la lieutenance de police . Ces strates successives sont éclairantes
en maints égards tant sur l’évolution de la société et de l’économie parisienne
que sur les techniques de la navigation. À ce titre, le texte le plus significatif
pour le 19e siècle est l’ordonnance de la police de la navigation, des rivières,
des canaux et des ports dans le ressort de la préfecture de police, en date
du 25 octobre 1840 . Cette ordonnance énumère, synthétise et réactualise,
sans
totalement les abroger, les règlements et coutumes antérieurs, souvent hérités
de l’Ancien Régime tout en apportant une réponse aux contraintes nouvelles
imposées par la navigation à vapeur. L’esprit de ces textes se fonde sur
une considération multi-scalaire de l’espace, s’affranchissant des limites
territoriales
pour assurer un contrôle du fleuve au-delà du ressort de la police parisienne.
Essentiellement pour des motifs de maintien de l’ordre, l’accent est mis
sur le contrôle du ravitaillement fluvial en vue d’en assurer le maintien,
d’en
maîtriser l’intensité, la régularité et la qualité. Ces pouvoirs de contrôle
et de coercition se renforcent aussitôt franchies les limites intérieures
du domaine de l’autorité policière parisienne : ici, le maillage administratif
et policier est plus étroit, comparable à celui déployé dans les espaces
urbains.
La Seine est administrativement considérée comme un arrondissement parisien
supplémentaire. À ce titre, les attributions réelles de la police de la navigation
et des ports sont transversales : dans son « arrondissement » l’inspecteur
de la navigation et des ports remplit des missions de maintien de l’ordre,
de circulation, de police économique, d’hygiène et de salubrité, voire même
de renseignement. Les procédés de contrôle sont immuables, inspirés de ceux
mis en place par l’État dans tous les domaines de la société. La conception
panoptique du contrôle, analysée par Michel Foucault, se retrouve ici appliquée à la navigation
fluviale.
Les missions de l’inspecteur de la navigation et des ports sont spécifiques
et variées. Tout d’abord, il surveille les voies navigables, les installations
portuaires et les embarcations empruntant les voies d’eau. Le domaine public
placé sous son autorité s’étend aux espaces navigables et à leurs servitudes
: les berges et les quais servant au halage des bâtiments et à leur amarrage.
Mais, sa fonction principale, également héritée de l’Ancien Régime, est de
veiller à l’épanouissement de l’activité économique et commerciale parisienne.
Les marchandises et les acteurs économiques sont considérés d’une façon identique
et sont soumis à un enregistrement pour lutter contre les trafics de contrebande
et les fraudes. Des cartes d’identification sont distribuées par les soins
de l’Inspection aux mariniers. Les ouvriers des ports, reçoivent quant à
eux, des plaques d’identification. Cette méthode policière de contrôle social
s’appuie
sur un procédé éculé de surveillance des populations ou professions, jugées
à risques ou
fluctuantes par les pouvoirs publics . Les navires, comme les hommes, sont
clairement identifiés, immatriculés et les conditions d’hygiène, de salubrité
et de sécurité de leurs espaces intérieurs et extérieurs sont réglementés
et contrôlés (particulièrement les bateaux à vapeur ). Le déplacement des
navires,
interdit la nuit, est codifié de manière à sécuriser le trafic en toutes
circonstances (côté de la navigation, préséance aux embarcations pleines
sur les vides, nombre
de rangées d’embarcations autorisées à être amarrées côte à côte, billage
, la vitesse, l’éclairage nocturne, etc.). Les flux, pour être optimisés,
sont
régulés : les embarcations sont enregistrées et suivent un ordre d’entrée
dans les ports de Paris. Le chargement ou le déchargement des navires ne
peut se
faire sans l’aval des services de l’inspecteur général de la navigation et
des ports et le stationnement des marchandises est limité dans le temps et
l’espace. Tout obstacle matériel aux flux des échanges est réglementé, voire
sanctionné : l’encombrement temporaire des chemins de halage, le déchirement des bateaux
et toute nouvelle construction sur l’espace public de navigation (moulins
, écluses), ne peut s’envisager sans l’assentiment de l’inspecteur général.
À
terre, les inspecteurs, à l’instar des agents de police des halles et des
marchés, ont un droit de regard sur la qualité et la dangerosité des produits.
Enfin,
les inspecteurs remplissent une mission fiscale en percevant, au nom de l’État,
le montant du droit de timbre, auquel sont assujettis les permissions de
stationnement et de circulation des bateaux de pêche et d’agrément, les permis
de tirage
à terre des bateaux pour leur réparations. Ils veillent aussi à l’application
des tarifs pour les services rendus aux mariniers. Le Service des chefs de
ponts de Paris, par exemple, est réglementé par un décret impérial et les
prestations (lâchage et remontage) sont facturées en fonction de la taille
du bâtiment
et de la marchandise (charbon de terre).
Les inspecteurs veillent aussi au maintien de l’ordre. Les mariniers et les
ouvriers des ports sont considérés comme des professions à risques, fluctuantes
et instables. C’est pourquoi, la préfecture de police doit, pour assurer
la quiétude des transactions entre les agents économiques, garder un œil
sur les
métiers associés au commerce fluvial, afin d’éviter les coalitions. L’inspection
reste aussi attentive aux populations interlopes fréquentant les ports (espions,
malandrins ou contrebandiers). Le fleuve et les canaux étant de remarquables
médias de diffusion des nouvelles, la police de la navigation se tient aussi
à l’affût des nouvelles qui s’y colportent. En dernier lieu, l’inspecteur
de la navigation contribue à la protection de la population dans les situations
de crise , contre les dangers ordinaires et extraordinaires du réseau hydrographique
: puisage de l’eau des canaux et des abreuvoirs publics, crues, gel des voies
navigables. Et enfin, il veille à la protection de l’environnement : interdiction
du rejet des eaux de vidange sur les talus des levées ou sur les murs de
revêtement.
De toutes ces attributions, une seule, mi-officielle mi-officieuse, l’emporte
: la tâche quotidienne de conciliation des inspecteurs. Le trafic fluvial
est tel au 19e siècle, que les bureaux d’arrivage saturent, surtout les semaines
suivant les récoltes. Les mariniers n’hésitent pas à enfreindre les consignes
de l’administration et à pénétrer dans Paris pour satisfaire leurs commandes.
Les négociants, qui font fi, des mesures de sécurité, crient au scandale
et
à l’atteinte à la liberté du commerce. Ces encombrements et heurts alimentent
le conflit qui oppose traditionnellement les deux préfectures pour le contrôle
du service. Néanmoins, des indices laissent supposer que les agents de l’Inspection
n’ont pas toujours été à la hauteur de leur mission. La consommation d’alcool
et, peut-être, des malhonnêtetés aurait émaillé le sérieux du service public
. Néanmoins, la principale critique faite aux agents du service est leur
manque de savoir technique, que la préfecture compense, à la fin du 19e siècle,
par
un concours
d’entrée pointu. Après 134 années de querelles, l’arrêté du 20 février 1933
validé, après une levée de boucliers des service de la préfecture de police,
par un décret-loi du 8 août 1935, place l’Inspection générale de la navigation
et ses personnels sous l’autorité des services techniques de la préfecture
de la Seine, donnant à cette administration des pouvoirs relevant ordinairement
du préfet de police . En 2008, feue l’Inspection de la navigation, devenue
Service de la navigation est intégrée à un établissement public industriel
et commercial, créé en 1991 : Voies Navigables de France. Ses missions et
ressort territorial sont identiques , mais à la seule différence que les
inspecteurs
sont également en charge du patrimoine fluvial et que les missions financières
se limitent à la perception d’une taxe au tonnage transporté servant uniquement
à l’entretien des voies de navigation.
La puissance du verbe ne peut suffire à faire appliquer la volonté des pouvoirs
publics. S’est donc posée la question de la nature et des attributions de l’unité
d’intervention à confier à l’Inspection générale ?
Rémy VALAT
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Encart no 1 : État statistique du rapport de l’inspection générale au
préfet de police du 26 avril 1843
Ports Nombre de bateaux en 1832 Nombre de bateaux en 1842
Hôpital et Saint-Bernard 3562 4451
Bercy et La Râpée 3175 3 772
La Villette-Canal Saint-Martin 3405 7979
Orsay-Saint-Nicolas 955 841
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Encart no 2 : organisation des arrondissements intérieurs de la navigation
(1907)
Numéro d’arrondissement et localisation du bureau Délimitation Composition
de l’effectif
1er arrondissement (bureau : 73, rue des carrières, Charenton) La Seine,
de la limite amont du département aux fortifications amont de Paris ;
la Marne et les canaux latéraux, de la limite amont du département au
confluent de la Seine 1 inspecteur principal et 1 inspecteur
2e arrondissement (bureau : 4, boulevard Morland, Paris) La Seine, des
fortifications amont de Paris au Pont-Neuf ; le canal Saint-Martin, bief
compris entre la 8e et 9e écluse. 1 inspecteur principal et 2 inspecteurs
3e arrondissement (bureau : quai d’Auteuil, Paris) La Seine, du Pont-Neuf
aux fortifications aval de Paris. 1 inspecteur principal et 1 inspecteur
4e arrondissement (bureau : 25, quai de Boulogne, Boulogne) La Seine,
des fortifications aval de Paris au pont de Neuilly 1 inspecteur principal
et 1 inspecteur
5e arrondissement (bureau : 20, quai de la Marine, Île-Saint-Denis) La
Seine, du pont de Neuilly à la limite aval du département ; le canal
Saint-Denis, partie comprise entre le pont de l’avenue de Paris à Saint-Denis
et l’embouchure de la Seine 1 inspecteur principal et 1 inspecteur
6e arrondissement (bureau : 41, quai de la Loire, Paris-La Villette)
Le canal de l’Ourcq, en aval de la limite amont du département ; les
bassins de La Villette, le canal Saint-Martin, jusqu’à la 8e écluse ;
le canal Saint-Denis, jusqu’au pont de l’avenue de Paris à Saint-Denis
1 inspecteur principal et 1 inspecteur
La police fluviale : la méconnue de la Seine
2e partie. La brigade fluviale : le « saint-Bernard »de la Seine (1900-2011).
a. La brigade fluviale : les premiers pas de la première formation policière
spécialisée et mécanisée de France (1900-1912)
À l'origine, nous l'avons vu, l’Inspection générale de la navigation ne disposait
pas d’effectifs de surveillance et d’intervention permanents : elle
opérait
par réquisition de la force publique par le truchement des commissaires des
arrondissements riverains. Les pouvoirs publics ont longtemps hésité à franchir
le pas consistant à recréer une force militarisée et spécifiquement chargée
de la surveillance des ports. Et bien que les sergents de ville , soient
absorbés par leurs misions quotidiennes dans les arrondissements
parisiens, ceux-ci
participent à la surveillance des quais et des berges avec le concours de
la Garde nationale sédentaire. Mais cette formation citoyenne de
recrutement local
est considérée comme une force d’appoint et politiquement dangereuse . L’apparition
de la Garde nationale mobile, en 1848, aurait pu favoriser l’essor d’un corps
ad hoc de gardes nationaux mariniers au sein d’une Garde nationale riveraine,
mais le projet a été rapidement écarté : le Gouvernement provisoire redoutant
d’armer
et de structurer une profession frondeuse, recrutant parmi les classes populaires
. Toutefois, les registres de l’Inspection de la navigation et des ports
font état d’un équipage, embarqué sur une chaloupe matée, chargé de la surveillance
et du secours aux noyés sur les voies d’eau parisiennes. En 1855, la chaloupe
de la préfecture de police (Le jeune martial) aurait été armée d’une pompe
de sauvetage pour l'épuisement des voies d'eaux des bâtiments endommagés.
Trois
décennies auparavant une première unité cynophile aurait été mise sur pieds,
mais l'expérimentation a échouée (1819-1827) . Ces renseignements, certes
parcellaires et incomplets, laissent présager l’existence permanente de personnels
chargés
de la surveillance et du sauvetage des personnes tombées dans le fleuve :
les postes de gardes nationaux servaient d'ailleurs à cet usage depuis le
siècle
précédent (voir infra). Néanmoins, cette faiblesse de moyens est compensée
par l’implication active des différents acteurs de la vie fluviale. Une police reposant sur l’engagement personnel et la solidarité aurait existé, en
harmonie avec la mentalité marinière. Les citoyens, les mariniers et les
sociétés de sauvetage s’associent instinctivement et traditionnellement pour
porter
secours aux personnes en danger.
La création d’unités spécialisées pour répondre à un besoin spécifique ou à
une catégorie de délits est une pratique policière courante et en plein essor
au 19e siècle. La division des recherches – qui préfigure à partir de 1893
les futures directions de la police judiciaire et des renseignements généraux
(apparues en 1913)- est emblématique de ce phénomène en raison précisément
de la spécificité de leurs missions. Or, la création de brigades spécialisées
remplissant une mission de police administrative à Paris est un phénomène encore
inédit au début du 20e siècle.
C'est dans ce contexte administratif que la brigade fluviale est officiellement
créée par un arrêté du préfet de police du 30 juin 1900. Elle est chargée
de l’application des règlements de police de la navigation (l’ordonnance
du 30
avril 1895) sous l’autorité de l’inspecteur général de la navigation, mais
est organiquement rattachée à la direction générale de la police municipale
. Sa mission initiale consistait à surveiller la Seine et ses dépendances
pour la durée de l’Exposition universelle. Formation expérimentale à ses
débuts,
la brigade dispose d’un personnel détaché de la direction de la police municipale.
La présence permanente de fonctionnaires de police pouvant constater toutes
les infractions, mêmes celles ne relevant pas exclusivement du domaine de
la police de la navigation, marque un renforcement du contrôle policier sur
l’espace
public fluvial, déjà considéré depuis le siècle précédent comme un « arrondissement
» parisien supplémentaire. Le 16 juillet 1906, le domaine d'intervention
de la brigade
fluviale est étendu aux voies navigables et plans d'eau du département de
la Seine, soit sur l'intégralité du ressort de l'inspection générale de la
navigation
et des ports. Dans ce même esprit, la brigade est renforcée d’inspecteurs
de la brigade des recherches (police judiciaire), qui concurremment avec
les gardiens
de la paix, peuvent alerter l’inspecteur général de la navigation ou le commissaire
de police d'arrondissement (1912), mais peuvent amorcer l'enquête. Les agents
de la brigade fluviale assurent également le secours aux victimes de submersion,
mais ne sont officiellement investis de cette mission qu'en 1906. Mais ce
serait plutôt la lutte conte la délinquance fluviale qui aurait motivé l'institutionnalisation
de cette formation : les installations fixes (ou pavillons de secours) répartis
depuis 1872 le long des voies d'eau du Paris intra-muros donnaient alors
entière
satisfaction aux pouvoirs publics (voir infra). Cette spécificité originelle
conjuguée à la rapide adaptation humaine et technique de cette formation à la problématique de l'assistance aux victimes de
submersion qui expliquent la configuration actuelle de ses missions.
Dans le courant de l'automne 1899, dix-neuf volontaires de la direction générale
de la police municipale sont sélectionnés pour leurs motivations, leurs aptitudes
physiques et leur connaissance du milieu fluvial ou maritime . Ces agents
reçoivent une formation théorique (dispensée par l’inspecteur de la navigation
Laëderich
et trois autres inspecteurs) et pratique en matière de secours aux noyés
(par les docteurs Féolde de la Société française de sauvetage et Thoinot,
directeur
du service des secours publics de la préfecture de Police). Les agents perçoivent
leur équipement individuel et sont répartis dans les différentes installations
de l'Inspection de la navigation et des ports. Enfin, un bateau de secours
et des chaloupes sont temporairement mis à la disposition du préfet de police
par le ministère de la Marine. Pendant l’Exposition universelle (15 avril-12
novembre 1900), deux agents assurent la surveillance de l’Aquarium de Paris
et du siège de l’inspection, tandis que le reste de l’effectif sécurise
les escales des voyageurs, protège les objets exposés ou relève les infractions
à la police de la navigation. Les mouvements de foule et les noyades sont
plus particulièrement redoutés au moment des manifestations se déroulant
à proximité
et sur le fleuve (notamment les « grandes fêtes vénitiennes » des 10 et 18
août 1900). Mais c'est plus le dévouement et l'héroïsme quotidiens de ces
policiers qui marquent l'opinion publique avec le soutien unanime de la presse.
Le 30
mai 1900, le sous-brigadier Dénoix et les agents Huyon et Le Menu se lancent
du haut du pont de la Concorde et extraient de l’eau deux personnes qui voulaient
mettre fin à leurs jours ; et le 5 juin, le sous-brigadier Dénoix remonte
à la surface une femme près du pont de Solférino. Malheureusement, le 3 décembre
1901, le gardien de la paix Charles Bailly sera entraîné par le courant sous
une péinche en tentant vainement de repêcher une femme de 38 ans. Bloqués
par
une poutre immergée, ni l’agent ni la malheureuse n’ont pu remonter à la
surface. L’émotion suscitée par cette mort héroïque est telle que la presse s’empare
de l’événement, et une rue de Paris porte depuis le nom du policier (rue
de l’agent Bailly, IXe arrondissement) .
Mais en ce début de 20 siècle, c'est surtout la délinquance et le phénomène
des « Apaches » qui préoccupent la préfecture de police et la direction de
la Sûreté générale du ministère de l'Intérieur. L'environnement fluvial connaît
lui aussi des catégories particulières de délinquants, communément appelés
« Ravageurs », qui regroupent des piqueurs de fûts, des voleurs de marchandises
ou bien encore les braconniers . Les bandes et les individus les mieux organisés
ont une bonne connaissance du fleuve et de la navigation, sont très mobiles
et opèrent avec souplesse. En réponse, la brigade fluviale assure un service
public permanent par la rotation des effectifs de l’unité : à partir de 1902,
les patrouilles nocturnes, d’une durée moyenne de trois heures et demie,
mobilisent au moins deux fois par semaine des équipes de six agents ou plus,
soit la moitié
des effectifs de permanence de la brigade. Mais face aux ces caractéristiques
de cette délinquance, l'unité connaît des mutations techniques et tactiques
significatives
: elle est dotée de moyens téléphoniques, de vélos, de chiens et de bateaux
à moteur. Les agents opèrent en civil, se barbouillent le visage de noir,
se vêtent d'habits sombres et élaborent des tactiques d'arrestation reposant
sur
la complémentarité des matériels à leur disposition. Un gardien de la paix
témoigne : «...Une nuit on nous signale une « sauvette » assez loin du poste,
raconte le gardien. Nous y allons à toute allure, puis en approchant nous
arrêtons le moteur pour mieux surprendre les malfaiteurs. Sans lumière, nous
sautons
dans le youyou que nous avions amené, et nous pagayons jusqu’à que nous soyons
sur eux». Surpris, les braconniers se défendent avec leurs rames, avant de
prendre la fuite, en ayant préalablement blessé un agent de la fluviale (un
bras cassé). Cette nuit-là, les policiers saisissent 150 kg de poissons ..
La lutte contre le braconnage ne diminuera en intensité qu'à partir de la
fin des années 1950 avec l'extinction des phénomènes de pénurie alimentaire
concomitant
à l'essor de la société de consommation.
Mais, c'est par le sacrifice de « l'agent Bailly », par la démonstration de
son efficacité et par la preuve de son utilité dans la lutte contre la délinquance
que la brigade a été institutionnalisée et renforcée tant en hommes qu’en matériel
(5 avril 1902).
b. La « première brigade du Tigre » : l'évolution des caractéristiques
administratives, humaines et matérielles de la brigade fluviale (1900-2011)
Il n'est pas exagéré d'assimiler la brigade fluviale aux
brigades mobiles de police judiciaire (ou « brigades du Tigre »), créés
en 1907. Et à ce titre, il serait pertinent de connaître si la brigade
fluviale n'aurait pas servi de modèle, surtout lorsque l'on sait que
les services de la préfecture de police servait fréquemment de laboratoire
(et de modèle) aux expérimentations policières, aussi bien d'un point
de vue technique qu'organisationnel. Force est de constater que les deux
formations sont toutes deux spécialisées, disposent d'un matériel moderne,
d'un personnel sélectionné, formé et probablement plus qualifié que la
moyenne et opèrent sur des ressorts territoriaux élargis ; leur différence
majeure est que les secondes jouissent totalement des attributions de
la police judiciaire. Cet enracinement historique des pratiques administratives
expliquent le rôle à part dans l'histoire policière de la brigade fluviale.
En 2009, elle a été promue au au statut de brigade de police régionalisée.
Son ressort s’étend désormais aux voies navigables des départements de l’Île-de-France, soit
3 400 km de voies d’eau, dont 592 km de voies navigables (décret n°2009-898
du 24 juillet 2009 relatif à la compétence territoriale de certaines
directions et de certains services de la préfecture de police) .
Ainsi d'un point de vue technique, la brigade fluviale est dès ses débuts
placée sous l’égide de la modernité. Son siège originel, situé sur un
dock flottant
(quai de la Tournelle, siège de l’Inspection générale), est équipé de matériel
téléphonique le reliant à la préfecture de police et aux différents postes
de secours échelonnés le long de la Seine . À l'instar de son homologue londonienne
(Thames Police Unit ), les locaux de la police du fleuve sont installés sur
des pontons amarrés aux quais de la Seine et sont affectés au stationnement
des embarcations, à l’entretien du matériel, au stockage du combustible alimentant
les embarcations (à vapeur, puis à essence) et au séjour des agents. Les pontons
offrent de nombreux avantages, notamment leur autonomie et la possibilité d’une
intervention rapide (les embarcations sont arrimées le long de ceux-ci et partent
en opération sans aucune manœuvre spécifique). Les déplacements successifs
des installations de la brigade fluviale témoignent d’une volonté de contrôler
l'espace de manière à déployer les effectifs d’intervention et de secours dans
les meilleurs délais , mais aussi une relative proximité avec l'institut-médico-légal
. Même, selon les circonstances, des installations temporaires ont existé pendant
les années 1960 : près de Neuilly-sur-Marne pour surveiller les activités nautiques
estivales et à Gennevilliers pour prévenir les risques d’attentats du Front
de libération nationale algérien (FLN) ou de l’Organisation de l’armée secrète
(OAS). À l'heure actuelle, la brigade fluviale et les unités d'intervention
subaquatiques de la brigade de sapeur pompiers sont déployés à Gennevilliers
(dont nous avons rappelé l'importance économique dans notre précédent article)
et à Joinville-sur-Marne .
D'un point de vue opérationnel, les agents sont équipés de moyens de déplacement
et d'investigation adaptés à leur mission. Temporairement, la brigade fluviale
a été équipée de bicyclettes (le vélo était considéré au début du 20e siècle
comme le symbole de la modernité policière)- pour surveiller les quais et surprendre
silencieusement les braconniers et les voleurs de marchandises (1902). Précédemment,
en 1901, un groupe cynophile a été mis sur pied pour le sauvetage dans les
eaux du fleuve, mais celui-ci connaît un échec retentissant, sur fond de scandale
médiatique : l’idée est définitivement abandonnée en 1907. En 1903, les premières
embarcations à moteur sont acquises par la préfecture de Police . La Mouette
est mise en service en 1903, et La Vigie l’année suivante (1904). La Mouette
était un canot à vapeur, moins puissant que La Vigie, motorisée à essence .
La traction vapeur limitait la première aux missions « avalantes » (dans le
sens du courant). La motorisation de La Mouette sera modifiée : un moteur
à essence, plus puissant et surtout plus discret, la mettra sur un pied d’égalité
avec La Vigie. Les embarcations à essence surclassent également leurs homologues
à vapeur pour leur rapidité au démarrage, puisque ces dernières doivent, comme
les locomotives ferroviaires, garder leur foyer actif pour se porter le plus
rapidement possible sur le lieu de l’intervention. Ces embarcations servent
d'abord, nous l'avons vu précédemment, à lutter contre le braconnage , mais
leur immixtion dans le dispositif de secours aux noyés va être décisive et
va bouleversé la doctrine d'assistance aux victimes de submersion (voir infra).
Toutefois, malgré la motorisation du parc de la brigade fluviale, il subsistait
encore des embarcations à rame pendant les années 1960 (seize unités recensées
au début de cette décennie). À cette époque, les bachots sont utilisés dans
les postes de secours (huit bachots) et au port de Gennevilliers (un bachot).
Ces unités ont un faible tirant d’eau, une large autonomie et vaste rayon d’action et sont de préférence utilisées pour des déplacements réduits ou pour des
lieux d’intervention éloignés et isolés par des écluses. Dans ce dernier cas,
les canots sont déplacés par un véhicule automobile . Les canots à rame (ou
youyous ) sont transportables à bord du car de police secours et peuvent ainsi
être acheminés sur un lieu d’intervention éloigné sans le préjudice du passage
des écluses. En 2011, la brigade est équipée de six hors-bords de secours :
deux d’entre-eux (Cronos, Arès) sont d’une puissance de 250 cv et disposent
d’une ouverture latérale pour extraire les noyés de l’eau et d’un défibrillateur
pour pratiquer les premiers soins. Des embarcations lourdes ou affectées à
des missions spécifiques, ont étaient allouées à la brigade fluviale notamment
un margotat sur lequel était érigé une cabine contenant l'équipement et les
accessoires d'un scaphandre lourd (vers 1920). Plus récemment (1998), un remorqueur-pousseur
multifonctions, L’Île-de-France est en activité. Ce bâtiment de 22 mètres de long, 1200 cv peut être déployé pour les missions les plus variées : traction
de navires en difficulté, extinction d’incendies, épuisement de cales de péniches
menaçant de sombrer, maintien de l'ordre….
Les personnels incorporés dans la brigade fluviale ont toujours été triés sur
le volet. À ses débuts, la brigade recrutait des volontaires en provenance
des arrondissements sélectionnés physiquement. Les agents passaient ensuite
un examen et une série d’épreuves à la piscine municipale de La Chapelle, puis
au Bassin de La Villette (épreuve de nage, de plongeon et de conduite de barque).
Depuis cette période, les hommes passent le concours d’entrée de gardien de
la paix, avant de subir une sélection interne, sanctionné par un concours spécifique
et hautement technique. Cet examen est ouvert aux gardiens de la paix des deux
sexes , titularisés ou non. Ces derniers, en plus du tronc commun des connaissances
acquises à l’école de police, doivent se spécialiser, comme dans la marine
marchande ou la Marine nationale, et être polyvalents. Les spécialisations
ont évoluées selon les époques. Les principales sont : manœuvriers, pilotes,
scaphandrier lourd (celle-ci a disparue), plongeur autonome, mécanicien, menuisier,
peintre, secrétaire. La spécialisation et la polyvalence obligent les agents
à vivre au rythme de la formation continue. Les plongeurs sont fréquemment
en stages organisés par le centre d’instruction nautique de la Gendarmerie
nationale à Antibes. Ces hommes et ces femmes ont dû constamment s'adapter
aux progrès des techniques de plongée. En 1900, les agents plongeaient en uniforme
(ils ôtaient seulement leur vareuse et leurs chaussures). Ils portaient autour
de leurs poitrines un cordage de dix mètres terminé par une bouée ayant la
forme d’un bâton court, ou bien une ligne de repêchage gaînée dans un étui.
En 1913, la brigade est officiellement équipée de scaphandres autonomes . Cet
équipement est manié par les agents de la fluviale, déjà expérimentés dans
l’emploi du scaphandre et par des sapeurs pompiers en formation. Ces scaphandres
lourds sont principalement employés l’hiver, pour les plongées de longue durée
et pour la récupération d’objets pondéreux. Le scaphandre lourd disparaît dans
les années 1970, cédant définitivement la place aux combinaisons d’homme grenouille apparues
à l’immédiat après-guerre. Ces tenues, plus légères, sont toujours en dotation
pour les plongées de courtes durées et les sauvetages. En général, les matériels
de la brigade fluviale sont des importations, des transpositions ou des adaptations
de techniques existantes dans le domaine militaire ou nautique.
c. Les « saint-Bernard » de la Seine. Bref historique du secours
aux victimes de submersion à Paris : des entrepôts Pia à la brigade fluviale
(1772-2011)
Les missions de la brigade sont d'une extrême variété et leur examen dépasse
le cadre de cet article . Nous avons, par commodité, choisi d'en présenter
la plus emblématique : le secours aux victimes de submersion.
Au 18e siècle, il n'existait pas en France de force publique chargée d'administrer
les premiers secours. Centrées sur leurs mission de surveillance et de répressives,
les acteurs policiers et militaires du maintien de l'ordre ne se préoccupaient
guère de la protection des administrés contre les périls majeurs du quotidien
(incendies, secours publics) : leur champ d'intervention dans ce domaine
restait strictement réglementaire. Néanmoins, la création d’un service de
lutte contre
les incendies à Paris par François Dumouriez-Duperrier (1650-1723) crée un
précédent (1716). Cette organisation, reposait sur les principes de la spécialisation,
la permanence et la proximité d’un service public de secours civil ont inspiré
Philippe-Nicolas Pia (1721-1799). Philippe-Nicolas Pia est un échevin, commandant
de la Garde de Paris, chirurgien et pharmacien dans la vie civile. Adepte
des théories vitalistes , Pia est sensibilisé aux pratiques étrangères en
matière
de « secourisme ». Il est le premier en France à se pencher sur
ce problème, en se référant au modèle étranger des sociétés de secours. Il
est l’importateur du modèle de ces sociétés à Paris. S’en inspirant, il préconise
l’enregistrement précis des sauvetages à des fins statistiques, accompagné
d’un compte rendu des soins pratiqués, des médicaments administrés et des
résultats sur la personne. Ces résultats font l’objet d’une publicité officielle
et de
publications. Partant d’une initiative privée, l’œuvre de Nicolas Pia bénéficie,
probablement en raison de sa qualité d’échevin, du soutien de la municipalité
parisienne qui lui permet de distribuer dans les postes de garde les boites
de secours transportables de son invention, rassemblant tous les médicaments
et ustensiles jugés nécessaires à la réanimation des noyés (voir encart no
2 et 3). La production en grande quantité de ces boîtes (un peu moins de
3 000) assure un ravitaillement constant des postes contrôlant les deux rives
du fleuve. Outre ces livraisons de matériel, Nicolas Pia prend aussi à cœur
de former un petit groupe de soldats sélectionnés de la « garde permanente des ports ».
Dans les six premiers mois, les « entrepôts Pia » permettent de sauver quinze
personnes en 1772, vingt-trois en 1773 ; vingt-deux en 1774. Jusqu’en 1789,
trente personnes en moyenne pourront être sauvées selon les procédés et les
matériels proposés par Nicolas Pia mais ce système connaît rapidement ses
limites .
À partir de 1774, le lieutenant général de police, Jean-Charles-Pierre Lenoir,
intègre les entrepôts Pia dans son dispositif de surveillance et de contrôle
de Paris. L’immixtion des pouvoirs publics, et plus particulièrement du pouvoir
policier, porte préjudice à l’efficacité des secours : en effet, jusqu’en
1836, lorsqu’un intervenant donne l’alerte, il doit prioritairement se rendre
chez
le commissaire de police ou auprès d’un poste de garde ou de secours (à Paris),
à la mairie ou au poste de gendarmerie (en banlieue). L’État royal, puis
napoléonien privilégie l’information des services administratifs, avant celle
des hommes
de l’art. Le médecin, le chirurgien ou l’officier de santé est ensuite requis
par la force publique (chef de poste, commissaire de police maire, commandant
de gendarmerie). À la venue du médecin sur les lieux de l’intervention (lieu
de l’accident ou au poste de garde), il y a alors délégation de compétences
: le représentant de l’État supervise toujours l’opération dans le cadre
de l'enquête,
mais laisse au praticien la « direction des secours » et la mise en œuvre
des soins. Un médecin qui serait intervenu, sans réquisition légale, est
tenu,
sous peine d’amende, d’en aviser un représentant de l’État ou des forces
de l’ordre. Ce n’est en 1836 que le préfet de police Henri Gisquet donne
officiellement
la primauté au transport de la victime vers un poste de secours ou un hôpital
.
Dans les faits, les méthodes pour repêcher une personne immergée en train
de se noyer ou déjà inconscientes sont anciennes et traditionnelles, et resteront
longtemps usitées même après l’apparition des tenues de plongée individuelles
en dotation à la brigade fluviale (1900). Jusqu’à la canalisation complète
de la Seine, autour de 1840, les usagers des berges de la Seine pouvaient
aisément
intervenir, au péril de leur vie , en sautant dans l’eau pour ramener la
victime sur les berges. Avec la construction des quais, les secours par des
particuliers
est sensiblement compliqué par la hauteur séparant la surface de l’eau du
parapet, et ceci malgré l’existence d’échelles de montée et d’escaliers d’amarrages.
Bien qu’il soit difficile d’établir avec exactitude quel pourcentage de Parisiens
pratiquant la natation, probablement faible au 19e siècle, celui-ci ne serait
pas d’une réelle utilité, car un individu sachant nager n’est qu’un sauveteur
potentiel. En raison des courants forts qui traversent la Seine, surtout
au bras séparant l’île de Cité et l’île Saint-Louis, les intervenants ont
fréquemment recours à des gaffes à l’extrémité desquelles sont fixés des
crochets .. Ces
gaffes, employées à partir d’une embarcation ou du rivage, permettent soit
d’attraper le submergé inanimé par ses vêtement, soit de lui offrir un moyen
d’extraction. Dans le même esprit, les agents de la brigade fluviale vont
adapter la « panthèse » en dotation dans les postes de secours, ustensile
jusqu’alors
réservé au dragage du fond des cours d’eau, au repêchage des cadavres. Cet
appareil, très lourd et d’un maniement individuel incommode, ayant été considérablement
allégé à la fin du 19e siècle, est devenu un précieux outil de repêchage
des corps immergés dans le fleuve.
Techniquement, les sauveteurs doivent appliquer des consignes de secours,
somme toute assez floues, et ceci pendant une longue durée : de deux à six
heures,
voire plus selon les règlements de police. La précision des textes semble
prévenir la lenteur du système d’alerte et la venue, souvent tardive, du
médecin censé
intervenir auprès du patient immergé des eaux des rivières parisiennes :
en un mot, l’ordonnance s’adresse plus au profane qu’à l’homme de l’art.
Ainsi,
selon les directives du conseil d’hygiène et de salubrité de la préfecture
de Police qui reprennent presque mot à mot les directives de Nicolas Pia,
il est recommandé de déshabiller rapidement ou de déchirer la vêture du noyé,
de le sécher à l’aide des frottoirs de flanelle fournis dans la boîte de
secours
et de le vêtir du bonnet et de la chemise de laine avant de le recouvrir
pour le maintenir au chaud. À ce stade, le sujet est couché momentanément
sur une
paillasse ou un matelas, puis tourné sur le côté pour qu’il puisse éventuellement
dégurgiter
de l’eau. Le noyé est secoué, son corps frictionné avec un frottoir imbibé
« d’eau de vie camphrée, animée avec l’esprit volatil » et la tête inclinée
par intermittence pour les rejets éventuels d’eau. Les frictions pratiquées
sur le ventre et la poitrine sont faites du « bas vers le haut » de manière
à provoquer un vomissement, voire la reprise de la respiration par le déplacement
de la cage thoracique. Ce n’est qu’à ce stade, tardif, de l’intervention
qu’est pratiquée l’insufflation pulmonaire à l’aide d’une canule introduite
dans la
bouche (l’emploi de la canule souple supplée la répugnance compréhensible
du sauveteur à apposer sa bouche sur celle de la victime).
Les médecins quant à eux n’hésitent pas à pratiquer la saignée ou la trachéotomie,
voire en dernier recours la fumigation rectale [voir encart no 1]. Le principe
de fonctionnement de l’appareil fumigatoire repose sur la propulsion de l’air
par un soufflet qui entretient la carburation du tabac et en pousse la fumée
par une canule dans la bouche ou l'anus. La machine est une adaptation de
procédés pratiqués en Angleterre et importés par le docteur Louis, notamment
le soufflet
de l’appareil. Celui-ci est inspiré d’un soufflet intestinal, employé pour
les problèmes digestifs. L’idée consistait à irriter le malade de l’intérieur
pour réactiver ses fonctions vitales. En dépit des doutes sur l’efficacité
de cette machine, le conseil d’hygiène et de salubrité en préconise encore
l’emploi dans son règlement de 1872 ! Les membres du conseil recommandent
officiellement au médecin de ne l’employer qu’en ultime recours, comme si
l’administration
se devait de tout tenter, même – « en désespoir de cause » - les pratiques les
plus irrationnelles pour rappeler une victime à la vie.
À partir de 1873, l’Inspection de la navigation, sur l’initiative du docteur
A. Voisin, directeur des secours publics et médecin à l’hôpital de la Pitié
Salpêtrière, sollicite des fonds de la municipalité pour la construction
de pavillons de secours aux noyés, équipés des matériels du dernier cri.
Trois
pavillons, établis sur la rive droite en aval du pont des Arts et du pont
d’Arcole et en amont du pont des Invalides, ouvrent leurs portes. La préfecture
de Police
étend le maillage des postes de secours aux escales des bateaux parisiens,
aux lavoirs, aux établissements de bains et aux vingt-six postes de l’octroi
: ces installations sont désormais tenues d’héberger du matériel de secours.
Ce matériel se compose d’une boite de secours (adoptée par le conseil d’hygiène),
d’un bachot, avec ses agrès, d’un croc et d’une bouée, d’un brancard, de
caléfacteurs (pour le réchauffement des personnes repêchées), d’un lit, de
matelas, de gouttières,
de chauffe-linge, d'appareils de réanimation , etc.. Chaque pavillon de
secours ou établissement est relié par téléphone au poste central de police
de l’arrondissement et des gardiens de la paix, formés aux premiers soins,
y assurent des permanences. Les établissements flottants sont également équipés
de crochets et de clous pour retenir les corps et les objets flottants dans
la Seine et les établissements de bains disposent de filets empêchant ces
corps et objets d’entrer dans leur aire. De même, Les bateaux à lessive doivent
avoir
un « gardien bon nageur, agréé par l’administration » et une boîte de secours
en bon état, identique à celles des établissements de bains. Ce maillage
est plus efficace : la rapidité des interventions est telle que les durées
d’immersion
des victimes dépassent rarement les cinq minutes, période d’immersion au-delà
de laquelle les chances de sauver le noyé sont compromises, et dépassent
rarement huit minutes. Entre 1873 et 1905, 405 submergés ont été recueillis
dans les
pavillons et seulement 16 d’entre eux n’ont pas été ramenés à la vie. En
dix ans, le personnel de ces pavillons ont soigné 3 909 personnes et 95 seulement sont
mortes. Ces statistiques témoignent d'une nette amélioration de l'efficacité
des services de secours : 2,43% des personnes décèdent suite à leur immersion
contre 33,22% entre 1847 et 1852, et une soixantaine de victimes (décédées
et réanimées) sont extraites de l’eau. Le nombre des décès décroît au 20e
siècle (45 morts/an), et se réduit encore à partir de 1997 (30/an entre 1997
et 2002)
; Mais bien que nombre de victimes augmente (125/an entre 1997 et 2002) ,
celui des personnes sauvées est toujours supérieur entre 1997 et 2002. Ces postes s'intègrent dans un dispositif d’alerte et d’intervention
fixe, composé de gardiens affectés à la surveillance de vingt postes
de secours, placés à partir de 1912, sous le contrôle des gradés de la
brigade fluviale. En 1966, les douze postes ferment leurs portes. À la
fin les années 1980, les dernières bouées installées sur les ponts et
les quais parisiens depuis 1928 disparaissent également en raison d’actes
de malveillance (vols, déprédations) , mais également au motif que ces
dernières sont d’un maniment difficile, dépassant les capacités du citoyen
moyen.
La création de la brigade fluviale a irrémédiablement condamné
les dispositifs de secours statiques à la disparition. Les moyens de
communication, les embarcations rapides, l’interopérabilité entre les
moyens terrestres et nautiques et les équipements de plongée dont elle
dispose progressivement, permettent à l’unité de se porter rapidement
sur les lieux de l’accident. Ces moyens d’intervention, hérités de l’expérience
militaire, à l’instar des services d’ambulances médicalisées d’urgence
(SAMU), s’intègre dans la doctrine française du secours qui donne la
priorité de l’intervention médicale en amont.Les agents de la brigade
fluviale appliquent la méthode de réanimation Schaeffer ou bien la méthode
t et l’appareil de réanimation mis au point par le docteur Cot .
Ces techniques, et surtout le repêchage des victimes décédées, évoluent,
probablement en réponse à la demande sociale et aux besoins de l’enquête,
vers un respect
de l’intégrité du corps. Cependant, depuis 2007 se dessine un retour au principe
originel des postes de secours, puisque le décret n° 2007-705 du 4 mai 2007
élargit l’usage des défibrillateurs automatisés externes aux personnes non
médecins et par ce que ces appareils commencent à être installés en différents
points des grandes villes (dont Paris) : hôpitaux, aéroports, gares, grandes
entreprises. La rapidité des vedettes d’intervention, le déploiement de plongeurs
en scaphandre autonome et, depuis 2006, l’acheminement des noyés au centre
de réanimation des victimes de submersion de l’hôpital européen Georges Pompidou
font de la brigade fluviale, secondée par l’unité d’intervention subaquatique
de la brigade de sapeurs pompiers de Paris, le fer de lance du secours sur
la Seine et ses berges. En 2008, la durée d’intervention est inférieure à 5
minutes
en n’importe quel point de Paris. De nouvelles installations vont ouvrir leurs
portes de manière à assurer une meilleure couverture du nouveau ressort géographique
de la brigade : les installations de Joinville et de Gennevilliers seront prochainement
opérationnelles. Des projets de pontons à Javel (Paris) et à Neuilly-sur-Marne
sont à l’étude. Ces installations vont réduire les délais d’interventions intra
muros et étendre la zone de contrôle de la brigade (avec des délais d’intervention
raisonnables) à toute l’Île-de-France.
Il est intéressant de souligner l’adaptation des techniques de récupération
des cadavres aux besoins de l’enquête. En effet, le corps, peut fournir de
précieux éléments pour l’enquête judiciaire, notamment, pour déterminer les
causes exactes de la mort (suicide, homicide). Les techniques anciennes, dont
la panthèse, sont progressivement abolies pour des procédés de repêchage risquant
de porter atteinte à l’intégrité du corps. La mission initiale du policier
n’est pas le secours, mais la manifestation de la vérité dans le cadre d’une
enquête administrative, voire judiciaire. Dans le cas des submersions, l’enquête
suit deux procédures, selon que la victime soit vivante ou morte.
Conclusions
L’importance politique, économique et sociale de la capitale
impose un contrôle et une sécurisation du réseau hydrographique se rattachant
à la cité, et la brigade fluviale est une pièce majeure du dispositif
de surveillance et d’intervention . Sous le Consulat et l’Empire les
pouvoirs policiers, essentiellement municipaux pour le domaine fluvial,
sont transférés à l'État qui renforce son autorité administrative sur
tout le sol français, eaux territoriales incluses (création des préfectures
de départements et des préfectures maritimes). La Seine, fleuve stratégique,
n'échappe pas à la règle : la préfecture de Police prend en charge la
surveillance des rivières, des chemins de halage et des ports parisiens
(arrêté des consuls du 1er juillet 1800), tandis que l’espace fluvial
national est lui-même divisé en arrondissements (arrêté des consuls du
28 mai 1803). Deux siècle plus tard, la brigade fluviale contribue toujours
au renforcement du contrôle policier sur l'espace hydrographique du département
de la Seine (16 juillet 1906), puis de la région de l'Île-de-France (24 juillet 2009). Si
la spécialisation de la brigade fluviale est une réponse efficace aux
contraintes du secours à la personne, cette dernière résulte à l'origine
d'une volonté de lutte contre la délinquance. Mais cette spécialisation
a eu pour conséquence un accaparement du monopole quasi exclusif de la
gestion policière de l’espace fluvial francilien (seules, les missions
de sauvetage sont partagées avec la brigade de sapeurs pompiers et les
citoyens). Enfin, la brigade fluviale, de par sa mission et l’image qu’elle
véhicule, fait figure de modèle dans la « société post-moderne » française,
sensibilisée aux questions de sécurité, fascinée par l’émotion (le «
thrill ») et le culte du « héros du quotidien ». Remplissant une mission
en prise directe avec le réel, cette unité ne serait-t-elle pas un révélateur
des aspirations d’une société de l’évitement et en quête de sens ?
Rémy VALAT
Je remercie pour leur aide précieuse : tous les agents de
la brigade fluviale qui ont accepté de s’entretenir avec moi, notamment
MM. Michel Constant, commandant de la brigade. Je remercie aussi M. Philippe
Rousseau (ancien membre de l’équipe Cousteau et plongeur –judiciaire).
Les sources exploitées pour cet article sont de trois natures : les archives
administratives, la documentation technique et les témoignages oraux. Les
archives administratives proviennent essentiellement des fonds de la préfecture
de police. Le fonds de la brigade fluviale (sous-série NA) est quasi-inexistant
pour les années antérieures à 1979 : ne subsistent pour cette période (1900-1978)
que des pièces isolées, des pièces réglementaires et des coupures de presse
conservés dans le dossier éponyme, référencé dans la sous-série DB. Les archives
de ces années-là ont été détruites afin de résoudre, sans aucun souci patrimonial,
au problème de l’encombrement. En l’espèce, nous avons consulté les pièces
produites par les services de la préfecture de la Seine et de la Ville de
Paris, notamment les documents préparatoires et définitifs ayant servi à
l’élaboration du budget de la Ville, les comptes rendus et les questions
écrites ou orales au Conseil de Paris. Nous avons également sollicité des
dossiers et des documents
isolés conservés aux archives de la préfecture de police, au musée de la
batellerie de Conflans-Sainte-Honorine (dont le fonds provient en partie
ds archives administratives de l'inspection générale de la navigation et
des ports), à la bibliothèque administrative de la Ville de Paris et à la
bibliothèque historique de la Ville de Paris.
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Encart no 1. Petite note au sujet de la fumigation rectale....
Nous rappelons que la mort par noyade résulte d’une asphyxie
hydraulique par l’inondation des voies aériennes broncho-alvéolaires,
tandis que d'autres victimes décèdent par par hydrocution consécutivement
à un état syncopal. Ces dernières appartiennent au groupe d'individus
que l'on peut réanimer, à condition d'agir rapidement en ré-oxygénant
les poumons et en pratiquant un massage cardiaque. Le rôle salvateur
d’une réaction de l’appareil digestif consécutive à l’insufflation rectale
d’un produit irritant est communément rejeté par le personnel soignant
et son efficacité jugée peu vraisemblable.
Le « succès » de cette méthode tient surtout aux connaissances médicales
du 18e siècle et à la renommée de ces promoteurs. En effet, la pensée
médicale
au siècle des Lumières est en pleine évolution. Elle se dissocie irrémédiablement
des préjugés religieux, qui ont pendant de nombreux siècles imprégnés ce domaine
du savoir et se détache également du modèle cartésien qui assimile le corps
humain à une mécanique purement physique, composée de membres ou de parties
assimilables à des machines remplissant chacune une fonction déterminée. En
revanche, le vitalisme influence considérablement les savants et praticiens
s'intéressant au phénomène équivoque de la « mort apparente » et aux techniques
de réanimation. Ces praticiens brisent un tabou en redonnant vie à une personne
montrant tous les signes extérieurs de la mort dans une société chrétienne
empreinte de préjugés. Les justifications apportées par les savants de cette
époque sont minces et leur crédibilité se fonde essentiellement sur le prestige
scientifique de
celui qui l’énonce. C’est l’entomologiste français René-Antoine Ferchault de
Réaumur (1683-1757) qui fixe les principes de réanimation qui feront longtemps
autorité après lui. Jouissant d’une grande notoriété scientifique, ses idées
en la matière bénéficient du soutien royal et sont diffusées dans tout le royaume
par voie de publicité légale (1740). Pour lui, les soins prioritaires restent
le réchauffement du corps, la réactivation de la circulation sanguine et la
provocation d’un vomissement de la victime : l’ingestion de liqueurs spiritueuses
ou d’urine, l’irritation du nez par des sternutatoires, la pénétration d’air
chaud dans la bouche, la saignée à la jugulaire, la bronchotomie, la fumigation
rectale. C'est le docteur Antoine Louis (1723-1792) qui redécouvre la fonction
mortifère de l’eau ayant pénétré dans les poumons du noyé et expose sa théorie
sur les causes physiologiques de la noyade à l’Académie royale des sciences
de Paris, le 18 janvier 1748. Or, l’insufflation d’air pour la réanimation
était connue depuis le 16e siècle, mais restait encore au stade expérimental à
l’époque de la démonstration d’Antoine Louis. Reprenant des travaux déjà entrepris
en Angleterre et en France, Antoine Louis, et Antoine Portal (1742-1832) à
sa suite, justifient le recours à l’insufflation pulmonaire. La méthode dite
du bouche-à-bouche, décrite par le médecin anglais William Bucchan (1729-1805)
est longtemps associée au massage cardiaque externe. En France, on lui préfère
l'insufflation d'air par la bouche ou le nez à l'aide d'une canule et « condamne
la coutume de ceux qui appliquent leur bouche sur celle du sujet pour lui donner
l’air qu’il expirent eux-mêmes. On ne pourroit se permettre d’agir de cette
manière que dans le cas où il serait impossible d’avoir le moindre instrument
» (arrêté du préfet de Police du 1er janvier 1836).
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Encart no 2. Contenu des boites de secours (1774)
Date Contenu Objectifs de l’emploi
1774 Un bonnet de laine ; deux frottoirs de laine ; une couverture de
laine en forme de tunique ; quatre rouleaux de tabac à fumer (d’une demi-once
chacun) ; une petite boîte renfermant plusieurs paquets d'émétique de
trois grains chacun ; deux bouteilles d’une pinte contenant de l'eau-de-vie
camphrée et l'esprit volatil de sel ammoniac ; un flacon de cristal,
contenant de l'esprit volatil de sel ammoniac liquide ; une cuiller de
fer étamée ; une canule à bouche et une machine fumigatoire. L’équipement
s’articule autour de deux actions à entreprendre sur le submergé :
1. Le réchauffement de la victime à l’aide de frottoirs, de vêtements
et de couvertures en laine.
2. Le retour à la vie par l’action de la boite fumigatoire.
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Encart no 3.Localisation des boîtes de secours (ordonnance
du 17 juillet 1850).
Boîtes de secours pour les noyés et les asphyxiés (Paris)
Arrondissement Localisation
1er Poste de la pompe à feu, Chaillot ; poste du Cours-la-Reine ; poste
du port saint-Nicolas, quai des Tuileries
4e Bateau Pascal, pont aux Changes ; bateau à lessive, quai de l’Ecole
; poste de la place du Châtelet
5e Poste de la rotonde de la Villette
6e Chez M. Molnoy, marchand de vin, rue Ménilmontant, quai Valmy ; poste
du pont du Temple ; chez M. Piroteau, marchand de vin, rue Grange-aux-Belles,
quai Jemmapes ; chez M. Maugin, marchand de vin, rue des Ecluses-saint-Martin,
quai Valmy
8e Patache d’amont ; poste de la place saint-Antoine ; poste de la rue
du Chemin Vert ; bateau à lessive, pont d’Austerlitz, rive droite
9e Poste de l’île saint-Louis ; poste du port saint-Paul ; poste du port
au blé ; bateau Baillet, en tête du pont-Marie, quai d’Anjou ; bateau
Condamina, quai Napoléon
10e Patache d’aval ; poste de la manufacture de tabac ; poste de la Légion
d’Honneur ; poste du quai Malaquais ; bateau à lessive, en amont du pont
National ; bateau à lessive, quai Malaquais ; direction de la Salubrité,
10 ,rue d’Anjou-Dauphine
11e Bateau broyeur, quai de l’Horloge ; poste de la place Desaix ; poste
du Palais de Justice ; état-major des sapeurs pompiers, quai des Orfêvres
12e Port au vin ; poste du Jardin des Plantes, quai d’Austerlitz ; poste
du quai Montebello ; maison Chambrun, quai d’Austerlitz
Cimetières Du Nord, de l’Est, du Sud.
Boîtes de secours pour les noyés et les asphyxiés (banlieue)
Arrondissement Canton Commune Localisation
Saint-Denis Saint-Denis Aubervilliers 6e écluse, chez l’éclusier
Île-Saint-Denis Mairie
Île-Saint-Ouen Chez le passeur
La Briche Chez l’inspecteur de la navigation
Saint-Denis Chez M. Pitre ; 1ère écluse, près le pont, chez l’éclusier
Saint-Ouen Mairie
Pantin La Villette Gare circulaire de l’Ourcq, chez l’éclusier ; pont de Flandres,
chez l’éclusier du canal de l’Ourcq
Pantin Mairie
Neuilly Boulogne Chez M. Alais, plâtrier
Clichy Maison de Salé, restaurateur
Neuilly Chez le propriétaire des bains chauds sur la Seine
Passy Usine à gaz
Patte-d’Oie-Auteuil Chez M. Guérin, aubergiste
Courbevoie Asnières Chez le garde du pont
Courbevoie Maison du pharmacien, sur le quai
Puteaux Mairie
Suresnes Chez le gardien du pont
Sceaux Sceaux Grenelle Chez M. Moreau, syndic des ouvriers du port à Javel
Plessis-Piquet Mairie
Charenton Bercy Chez l’inspecteur de la navigation ; maison des Lions
Carrières-Charenton Chez M. Bizouard, marchand de vin
Joinville-le-Pont Chez M. Linson, restaurateur
Lavarenne-Saint-Maur Chez M. kresch, pêcheur
Maison-Alfort Chez M. Bauny, restaurateur
Nogent-sur-Marne Chez M. Delisle, manufacturier
Pont-de-la-Bosse-de-Marne Chez les billeurs
Saint-Maur Mairie
Villejuif Choisy-le-Roi Chez l’inspecteur de la navigation
Gare d’Ivry Chez M. Lemoine, marchand de vin
Sèvres Chez M. Roud aîné, fabricant de briques et d’ardoises
Encarts
Des agents de la brigade fluviale avaient la spécialisation
de plongeur-scaphandrier pour une plongée dans la Seine. Dès la fin du
19e siècle, le scaphandre lourd est utilisé pour des plongées judiciaires
(recherches de cadavres) et l’inspection des parties immergées des installations
fixes et les piliers des ponts. La cabine d’un margotat était équipée
d’une pompe pour l'alimentation en oxygène du plongeur. Le margotat était
déplacé sur le lieu de l’intervention. Le scaphandre est une tenue étanche
intégrale, avec un casque relié à l’alimentation en oxygène et ses «
pieds » (chaussures) sont lestés (d’où l’appellation de « scaphandres
pieds lourds »). C’est Joseph-Martin Cabirol qui a mis au point le premier
casque de plongée à hublots muni d'une soupape manuelle permetant d’évacuer
l’air expiré. située sur le casque à hublots (1855).La tâche des assistants
du scaphandrier est vitale, car le plongeur doit impérativement inhaler
de respirer de l’air à une pression identique à la profondeur. Si l’air
envoyé depuis la surface est insufisant la pression de l’eau sur cage thoracique empêche
de respirer.
Les agents de la brigade ont mis au point des lignes de sauvetage
pour les noyés, l’une d’entre-elle a été mise au point par le brigadier
Marieu, les sous-brigadier Brégon et Denoin. Elle était gaînée dans un
étui de cuir. Un crochet était fixé à la ceinture du plongeur, tandis
que le second policier, resté à la surface, tenait le bâton et laissait
le filin de 40 mètres de long se dérouler. Le filin permettait de localiser
l’homme immergé, voire de la l’extraire de l’eau en cas d’urgence (vers
1900). De nos jours, les plongeurs de la brigade utilisent encore des
fils de plongée pour communiquer par code avec les agents restés à bord
du canot de secours.
Les canots de secours pouvaient être fixés sur le toit des
véhicules de la brigade fluviale, avant la livraison de fourgonnettes
utilitaires permettant le transport de l'embarcation à l'intérieur de
celle-ci (Paris, vers 1960). Les véhicules transportaient également une
bouée de sauvetage. Ces dernières ont disparues des véhicules de police
secours dans le courant des années 1980, mais on fait leur réapparition
au printemps 2010 pour les véhicules de police des arrondissements riverains
de la Seine et des canaux.
L’agent-plongeur léger de la brigade fluviale est doté d’un
scaphandre de plongée autonome, système mis au point grâce à la découverte
du détendeur par Benoît Rouquayrol et d'Auguste Denayrouze (1860), puis
améliorée par l’ingénieur Émile Gagnan et Yves Cousteau (1943). Le détendeur
permet de décompresser l’oxygène ou l’air comprimé contenu dans des bouteilles-réservoirs
métalliques (bloc de plongée). La brigade fluviale utilise l’air comprimé
pour ses missions : les mélanges gazeux (oxygers) nécessitent un temps
de préparation trop long pour une mission de secours, et sont surtout
utilisés pour les nageurs de combat opérant en eaux très profondes et
surune longue durée.
BAILLY Charles, Gaston, gardien de la paix de la brigade fluviale, victime
du devoir, décédé le 2 novembre 1901. Charles Bailly est né le 14 juin
1871 à Poitiers (Vienne) et a exerçé un temps la profession d’horticulteur,
avant de séjourner 3 années sous les drapeaux, dans les rangs du 5e régiment
du génie. Il rejoint la vie civile le 22 septembre 1895, avec le garde
de sergent. Le 1er août 1898, Bailly sollicite un emploi dans le service
des gardiens de la paix à Paris. Nommé gardien de la paix (21 décembre
1898), il est au 1er arrondissement parisien, mais cette affectation
n’est point de sa convenance et tente vainement à changer des poste.
Après l’échec de sa candidature pour la sûreté, il parvient à intégrer
la brigade fluviale. Il périt noyé, le 2 novembre 1901 en voulant sauver
Émilie (ou « Amélie ») Vallée, concierge âgée de 38 ans qui présentait
des troubles de comportement. Les funérailles de Bailly eurent lieu le
lundi 4 novembre 1901, aux frais de la Ville de Paris. Le cortège se
réunit à midi et demie
à la préfecture de police. L’inhumation eut lieu au cimetière de Montparnasse
dans le caveau des victimes du devoir. Le quotidien, Le Matin, daté du
3 novembre 1901 décrit les circonstances de la mort de Charles Bailly
et d’Emilie Vallée : Vers neuf heures et demie, les gardiens de la paix
de la brigade fluviale, Bailly et Marmas, de service sur le quai de Gesvres,
étaient informés par des passants qu’une femme d’une trentaine d’années,
venait de se jeter dans la Seine , de la partie du quai située entre
le pont Marie et le pont Louis-Philippe.
Les deux courageux agents se précipitèrent aussitôt vers le fleuve, au
secours de la malheureuse. Celle-ci, bien que la Seine n’eut pas, à l’endroit
où elle s’était jetée, une profondeur supérieure à un mètre, avait été
entraînée par le courant et avait glissé sous trois péniches amarrées
au quai.
L’agent Bailly qui, le premier, avait sauté dans l’eau était sur le point
de saisir la noyée par ses vêtements, lorsqu’il fut soudain entraîné
à sa suite sous les péniches. Son camarade Marmas, sans hésiter, s’élança
à son secours mais, à son tour, il allait disparaître, entraîné par le
courant lorsqu’un marinier, M. Parent, se fit attacher par la ceinture
avec une corde et plongea à sa recherche. Il réussit à saisir le gardien
Marmas, que les spectateurs de cette scène émouvante ramenèrent sur la
berge. Ce ne fut qu’après vingt minutes de recherches [« [BAILLY] a séjourné
environ 30 minutes sous l’eau », selon une note de police] que le cadavre
de l’agent Bailly fut retrouvé et remonté à l’aide d’un croc. Quelques
instants plus tard, celui de la désespérée fut à son tour ramené sur
le quai. Les deux cadavres furent transportés au poste de secours du
quai de Gesvres, où le gardien Marmas, que l’on y avait conduit, était
revenu peu après à la vie.
Aucune pièce pouvant servir à établir l’identité de la noyée n’a pu être
recueillie. La seule indication utile est le nom d’Émilie, brodé sur
la chemise.
A onze heures, M. Lépine, préfet de police, est arrivé en voiture au
poste de secours. Après avoir serré la main à l’agent Marmas et l’avoir
félicité de l’acte de courage qu’il venait d’accomplir, le préfet de
police s’est découvert devant le corps de l’agent Bailly, dont il a fait
transporter la dépouille à la préfecture, où une chapelle ardente a été
aménagée dans la petite salle attenante à la chambrée des gardiens de
la paix, salle communément appelée : salle des sous-brigadiers.
Deux gardiens de la paix, l’arme au pied, baïonnette au canon, ont été
placés en faction de chaque côté de l’étroite couchette. A gauche en
entrant, une petite table a été mise, recouverte d’une nappe blanche
avec un flambeau dont la lueur falote a éclairé durant toute la nuit
la figure de cire de l’agent défunt.Enfin, sur un coussin, aux pieds
du lit, a été déposée une couronne de perles blanches avec l’inscription
: « La société amicale et de prévoyance de la préfecture de police :
au camarade Bailly, victime du devoir. »
Le docteur Marc, était membre du Conseil d’hygiène de Paris
et le chef du service des secours publics de la préfecture de Police.
Le service a été créé en 1815, il l’a dirigé jusqu’à sa mort en 1840.
Il sera immédiatement remplacé par son fils.
Insigne portatif de la corporation des « dérouleurs ». Les
dérouleurs déchargeaient les tonneaux de vin achemines par bateaux dans
les ports de Paris. Ils faisaient rouler les barriques (les « déroulaient
») depuis les embarcations jusqu’à leur espace de stockage sur les quais
ou dans un entrepôt de proximité. Ces médailles permettaient un contrôle
social des métiers du fleuve (chaque ouvrier était recensé) et servaient
de palliatifs aux vols. Si un homme déplaçait une barrique de vin entre
chiens et loups sans cet insigne à la boutonnière, il y avait fort à
parier qu’il s’agissait d’un « piqueur de fûts »...
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