Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Wednesday 21 Aug 19, 14:21 |
|
|
Une curiosité. Un des hymnes tardifs du Ṛg Veda transcrit une imprécation adressée à une plante par une épouse qui souhaite, par cette magie, éloigner une autre femme des bras de son époux. Je donne la transcription standard (je vous épargne la devanāgarī), celle avec le sandhi défait et une traduction par mes soins :
Ṛg Veda X.145
imāṃ khanāmyoṣadhiṃ vīrudham balavattamām |
yayā sapatnīm bādhate yayā saṃvindate patim || 1 ||
imām khanāmi oṣadhim vīrudham balavat-tamām
yayā sa-patnīm badhate yayā sam-vindate patim
Je déracine cette herbe, pousse très puissante,
Par laquelle la rivale est chassée, par laquelle le mari est retrouvé ;
uttānaparṇe subhage devajūte sahasvati |
sapatnīm me parā dhama patim me kevalaṃ kuru || 2 ||
ud-tāna-parṇe su-bhage deva-jūte sahas-vati
sa-patnīm me parā dhama patim me kevalam kuru
Ô toi dont les feuille s'étendent, favorable au plaisir amoureux, incitée par les dieux, puissante
Éjecte au loin ma rivale, fais mon mari pour moi seule.
uttarāham uttara uttared uttarābhyaḥ |
athā sapatnī yā mamādharā sādharābhyaḥ || 3 ||
uttarā aham uttare uttarā id uttarābhyas
athā sa-patnī yā mama adharā sā adharābhyas
Fais-moi excellente, ô excellente, oui, excellente d'entre les excellentes ;
Mais celle qui est ma rivale, basse d'entre les basses.
nahyasyā nāma gṛbhṇāmi no asmin ramate jane |
parām eva parāvataṃ sapatnīṃ gamayāmasi || 4 ||
na-hi asyās nāma gṛbhṇāmi no asmin ramate jane
parām eva parāvatam sapatnīm gamayām asi
En aucun cas son nom je ne prononce, nul n'a de plaisir dans tel être ;
Que loin, très loin même, tu aies fait aller ma rivale.
aham asmi sahamānātha tvam asi sāsahiḥ |
ubhe sahasvatī bhūtvī sapatnīm me sahāvahai || 5 ||
aham asmi sahamānā atha tvam asi sāsahis
ubhe sahasvatī bhūtvī sapatnīm me sahāvahai
Moi, pour sûr, je suis tenace, toi tu es triomphante,
Nous deux, ayant été pleines de force, que nous triomphions de ma rivale !
upa te 'dhāṃ sahamānāmabhi tvādhāṃ sahīyasā |}
māmanu pra te mano vatsaṃ gauriva dhāvatu pathā vāriva dhāvatu || 6 ||
upa te adhām sahamānām abhi tvā adhām sahīyasā
mām anu pra te manas vatsam gaus iva dhāvatu pathā vār iva dhāvatu
Pour toi j'ai posé la conquérante, sur toi je l'ai posée avec plus de force ;
Qu'envers moi tes pensées [soient] comme « qu'elle courre vers le veau, la vache ! », comme « qu'elle courre par la pente, l'eau ! »
Remarques
1) le dernier śloka ne s'adresse plus à la plante mais au mari ;
2) la rivale/concubine/maîtresse est désignée par sa-patnī, la « avec-épouse » (cf. gr. πότνια « maîtresse [de maison] < gr. πότις, skr. pati « époux », russe gos-podin « monsieur »).
3) la plante triomphante a été identifiée (?) à la Stephania hernandifolia (skr. pāṭhā), une plante médicinale de la pratique ayurvédique.
4) à toutes fins utiles pour nos honorables babéliennes et babéliens … |
|
|
|
|
Picardicus
Inscrit le: 08 Oct 2010 Messages: 98
|
écrit le Wednesday 21 Aug 19, 16:24 |
|
|
"je vous épargne le devanagari"
Pourquoi ? Ne pourriez-vous pas le donner, en même temps, si vous le voulez, que la transcription en caractères romains ? Cela intéresserait sûrement pas mal de babéliens.
L'écriture devanagari est certes plus complexe que l'écriture grecque, j'en suis bien conscient, mais n'offre absolument rien d'insurmontable ! Ce forum donne bien des textes en écriture arabe ! Je pense que quiconque a dépassé la septantaine ne peut que bénéficier de son apprentissage, ainsi que celle de la grammaire sanskrite : c'est à coup sûr un excellent préventifs de l'Alzheimer ! "Un des meilleurs qui soient" m'a-t-on dit !
Pour ma part j'ai commencé le sanskrit il y a une dizaine d'années, en autodidacte, avec des ouvrages français, dont certains sont excellents, très didactiques, et je traduis actuellement l'Uttararamacarita. C'est passionnant !
Je regrette seulement qu'il n'existe pas pour le sanskrit d'ouvrage français équivalents à ce qui se fait pour le grec et le latin. La meilleure grammaire sanskrite que j'aie trouvée est celle de J. Gonda, et c'est une traduction d'un ouvrage néerlandais : Manuel de grammaire élémentaire de la langue sanskrite, avec exercices, morceaux choisis et lexique. Un peu l'équivalent de la grammaire latine de Georgin et Bertaux, ou de la grammaire grecque d'Allard et Feuillâtre.
On peut aussi bénéficier de cours de sanskrit, en langue anglaise, tels que celui-ci :
https://www.chinfo.org/index.php/easy-sanskrit-course
“After mastering the Easy Sanskrit Course you will be able to study Sanskrit texts such as Ramayana,Mahabharata and Bhagavad Gita. You will also be able to go deeper into Sanskrit Grammarindependently or with minimum guidance. Needless to menti/on, the study of Sanskrit is indispensablefor studying all aspects of Indian Knowledge - Yoga, Vedanta, Ayurveda, Itihasa, Purana and so on.” Très bon cours, 18/20 !
Je ne connais pas d'équivalent français, du moins je n'en ai pas trouvé. |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Wednesday 21 Aug 19, 17:25 |
|
|
Outis a écrit: | (je vous épargne la devanāgarī) |
Ne jouons pas à cache-cache, il fallait évidemment comprendre « je m'épargne ».
J'ai autre chose à faire, je fais découvrir mais je n'enseigne pas. En outre, je vous ferai remarquer que tout l'enseignement de sanskrit que j'ai suivi (universitaire) a toujours laissé totalement de côté cette écriture mal adaptée au clavier (nombre de ligatures y sont irréalisables). Même en étudiant le sanskrit, vous avez droit à un peu de modernité et il y a beaucoup plus efficace contre Alzheimer …
Le Gonda est très bien (comprendre « très bien ») et pendant très longtemps vous n'aurez besoin de rien d'autre. Et il est plus de trois fois plus court que la grammaire védique de Macdonell !
Enfin, pour moi, tenter d'apprendre seul le sanskrit a été un échec total, j'ai dû en passer par quelques années de fac et des professurs à qui on peut poser des questions. Re
Enfin, si vous étiez allé dans « Cours et documents », vous auriez trouvé une aide que j'avais écrite il y a longtemps sur cet apprentissage. Cherchez et vous trouverez ! |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 898 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Wednesday 21 Aug 19, 19:54 |
|
|
Moi, ce que j'aimerais, c'est une décomposition de ce texte en morphèmes afin que je puisse me faire une idée du système de la langue. |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Wednesday 21 Aug 19, 22:32 |
|
|
Hélas, quand un linguiste parle de morphèmes, on ne sait jamais de quoi il parle exactement. Si cela recouvre les désinences (la flexion) n'importe quelle grammaire fait l'affaire, si on ajoute les préfixes et suffixes, celle de Renou (sanskrite, la védique n'a plus été aperçue depuis longtemps) fera l'affaire. Et si on compte les lexèmes (composition nominale) un bon dictionnaire (Monier-Williams) sera utile.
Quant au système, c'est une langue eurindienne qui fonctionne comme le grec et le latin, juste en un peu plus compliqué. Je ne vais évidemment pas faire le travail d'un cours de védique, mais voici les notes que j'ai prises pour traduire ce texte. Elles sont très sommaires mais un linguiste devrait s'y retrouver. L'ordre alphabétique est celui du sanskrit (logique, contrairement aux autres).
• atha : « certainement »
• athā : « mais »
• adharā : « bas, inférieur »; adharā : nom. fém.; adharābhyas : abl. fém. pl.
• abhi : « vers »
• AS-, asti : « être »; asmi : prés. 1re p.; asi : prés. 2e p.
• aham : « moi »; aham : nom. sg.; mama : gén. sg.; mām : acc. sg.
• id : particule d'affirmation
• idam : « celui-ci »; asyās : gén. fém.; asmin : loc. masc.
• uttara : « excellent »; uttarā : nom. fém.; uttare : voc. fém.;
uttarābhyas : abl. fém. pl.
• ut-tāna-parṇa : « aux feuilles étendues »; ut-tāna-parṇe : voc. fém.
• upa : « vers, en direction de »
• ubha : « nous deux »; ubhe : nom. fém. duel
• eva : « même, vraiment, en fait »
• oṣadhi : f. « herbe, plante, plante médicinale »; oṣadhim : acc. sg.
• KṚ-, kṛṇoti : « faire »; kuru : impér. 2e p.
• kevala : « à soi seul » »; kevalam : acc. masc.
• KHAN-, khanati : « creuser, déraciner »; khanāmi : 1re p. prés.
• GAM-, gacchati : « aller »; gamayām asi : 2e p. parf. périphr. du caus.
• go : « vache »; gaus : nom. sg.
• GRABH-, gṛbhnāti : « mentionner »; gṛbhṇāmi : 1re p. prés.
• jana : « créature, personne, être »; jane : loc. masc.
• tad : « ce »; sā : nom. fém.
• tvam : « toi »; tvam : nom. sg. ; tvā : acc. sg.; te : dat./gén. sg.
• deva-jūta : « incité par les dieux » »; deva-jūte : voc. fém.
• DHĀ-, dadhati : « mettre, poser »; adhām : aor. 1re p.
• DHĀV-, dhāvati : « courir »; dhāvatu : impér. 3e p.
• DHMĀ- :, dhamati : « éloigner de soi, chasser : »; dhama : impér. 2e p.
• na-hi : « certainement pas, en aucun cas »
• nāman : « nom »; nāma : acc. sg.
• no : « et non »
• pati : m. « mari »; patim : acc. sg.
• patha : m. « chemin, trajet »; pathā : instr. sg.
• para : « éloigné »; parām : acc. fém.
• parā : « au loin »
• parā-vat : « très au loin »; parāvatam : acc. fém.
• bala-vant : « puissant, fort »; balavat-tamām : superl. acc. fém. sg.
• BĀDH-, badhate : « être chassé »; badhate : 3e p. prés.
• bhaga : « beauté, plaisir amoureux » voc. fém.
• BHŪ-, bhavati : « être, devenir »; bhū-tvī : gérond.
• manas : n. « esprit »; manas : acc. sg.
• yad : « que »; yayā : instr. fém. ; yā : nom. fém.
• RAM-, ramate : « prendre plaisr à » + loc.; ramate : 3e p. prés.
• vatsa : « veau »; vatsam : acc. sg.
• vār : n. « eau, pluie »; vār : nom. sg.
• vī-rudh : « pousse, rejet »; vīrudham : acc. sg.
• saṃ-VIND-, saṃ-vindati : « retrouver, obtenir »; saṃ-vindate : 3e p. moy.
• sa-patnī : f. « rivale, concubine, maîtresse »; sa-patnīm : acc. sg.
• SAH-, sahate : « triompher »; sahāvahai : 1re pers. subj. moy. duel; sahamānām : part. prés. moy. acc. fém.
• sahamāna : « tenace »; sahamānā : nom. fém.
• sahas-vant : « puissant »; sahas-vati : voc. fém.; sahas-vatī : nom. fém. duel
• sah-īyaṃs : « plus fort »; sahīyasā : instr. sg.
• su- : « favorable »;
• sāsahis : « puissant »; sāsahis : nom. fém. |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 898 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Thursday 22 Aug 19, 8:32 |
|
|
Merci.
Étant un "lettres classiques", je sais très bien que le sanskrit est une langue indo-européenne, on l'évoque nécessairement quand on aborde l'histoire des langues latine et grecque.
Par morphèmes, il faut entendre "plus petite unité signifiante". Par exemple, dans "chantions", on a chant-, que nous appellerons "radical" pour simplifier (en fait sémantème, puisque cet élément est pourvu d'un sens lexical), puis -i-, morphème soit de l'imparfait, soit du subjonctif présent, puis -ons, morphème de la 1ère personne du pluriel.
Ce que je demandais, c'est par exemple, de "décomposer" khanāmyoṣadhiṃ.
C'est par curiosité ; je n'ai absolument pas le loisir d'apprendre plus à fond le sanskrit... |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Thursday 22 Aug 19, 12:52 |
|
|
Nous ne nous sommes pas compris. Je n'avais pas besoin de vos explications. Mais je fais partie d'une vieille école pour laquelle les belles notions théoriques ne servent à rien (= sont des âneries) quand elles ne conduisent pas à un progrès et qu'elles sont trop complexes à présenter. Vous allez comprendre quand je répondrai à votre question. Vous aviez tous les éléments, il suffisait de lire.
khanāmyoṣadhiṃ est un effet de sandhi, c'est la jonction orale de deux mots (comme liaison et élision), ici le verbe khanāmi et le c.o.d. oṣadhiṃ.
• oṣadhiṃ = oṣadhi- « herbe, plante » + -m désinence d'acc. sg. (comme en grec et en latin) ;
• khanāmi = KHAN- « cueillir » + -a- voyelle thématique + -mi désinence de 1re pers. du prés. de l'indic. (comme en grec) ;
N.B. : « cueillir » est le sens dans ce texte, le vague sens général est « creuser, arracher, etc. ».
Seulement, voilà !! En sanskrit, la voyelle thématique subit un allongement à la 1re personne !! (probablement la trace d'une laryngale). On a :
khanāmi je cueille / khanasi tu cueilles / khanati il cueille
Cet allongement est-il un morphème ? Pour moi, rien que de poser la question met en évidence le manque de productivité de la notion. Seule une grammaire transformationnelle permet de résoudre ce genre de question, pas une décomposition scolaire.
Mieux vaut, quand l'objectif est simplement de lire des textes et de les comprendre (moi, c'est pour ça que je lis), se contenter des bonnes vieilles grammaires qui vous apprennent ce que vous devez savoir …
J'avais posté ce texte pour son sens . Mais ça, ça n'a intéressé personne … |
|
|
|
|
Glossophile Animateur
Inscrit le: 21 May 2005 Messages: 2281
|
écrit le Thursday 22 Aug 19, 13:15 |
|
|
Les Antillaises ne font pas tant de chichis : elles se procurent une liqueur verte, élixir d'amour, en vente libre au marché. Si ça ne marche pas, c'est le jet direct d'alcali au visage de la rivale... |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 898 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Thursday 22 Aug 19, 13:54 |
|
|
Outis, je vous remercie. C'est ce que je souhaitais : qu'on me montre comment la langue est "fabriquée", ce qu'on appelle justement son "système". Mais c'est plus ou moins facile dans les langues indo-européennes dans lesquelles les morphèmes sont amalgamés, sujets à l'homonymie ou au syncrétisme.
Je vous donnerai un jour l'exemple d'une langue qui se "démonte" très facilement, comme un mécanisme d'horlogerie.
Le but n'était pas de faire de la linguistique, mais d'en utiliser les notions les plus élémentaires, ce qui n'est pas la même chose.
Une parenthèse : un allongement compensatoire ne devient signifiant que s'il s'oppose à un "non-allongement", comme l'accent tonique. Autrement, c'est un changement conditionné, comme la métaphonie ou l'harmonie vocalique.
Mais oui, bien sûr, j'ai apprécié le texte ; vous savez, je suis plus "philologue" (au sens plein du terme) que linguiste. Mais comme vous l'avez translittéré, cela a piqué ma curiosité.
Merci encore. |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Thursday 22 Aug 19, 14:23 |
|
|
Bien sûr, Glossophile, la simplicité reste une bonne chose, mais je suis persuadé que si, en plus, on lui parle gentiment, l'élixir d'amour gagne en efficacité … et fait l'économie du tribunal ! |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Thursday 22 Aug 19, 14:28 |
|
|
Chacun puise pour son compte. Moi, ce qui m'a intéressé, c'est de retrouver des mots dont nous avons plus ou moins longuement parlé ailleurs, par exemple
• go : « vache »; gaus : nom. sg.
• nāman : « nom »; nāma : acc. sg.
• patha : m. « chemin, trajet »; pathā : instr. sg.
• manas : n. « esprit »; manas : acc. sg.
• su- : « favorable »
et aussi de pouvoir peut-être rapprocher eva : « même, vraiment, en fait » de l'anglais even, même sens. |
|
|
|
|
|