Nina Padilha
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écrit le Thursday 10 Mar 11, 10:16 |
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J'aimerais apporter ma contribution en mettant, ici, l'article que j'avais rédigé pour un magazine.
CARNAVAL : et Rio explose de joie !
Cinq jours de folie
En Europe, le Carnaval c'est mardi-gras et puis le mercredi des cendres on oublie un peu les rigolades de la veille.
Mardi-gras, au Brésil, c'est déjà le cinquième jour de liesse et l'apogée d'un délire qui emporte tout le pays dans un flot continu de fêtes, de musiques, de couleurs !
Pour ouvrir la période festive du Carnaval, a lieu, tous les ans, le vendredi soir, un gala huppé, réservé aux nantis : le "Abre-Alas". C'est là que commence vraiment la grande fête.
Un déluge de lumière avec un défilé spécial dans la splendeur des costumes de luxe, scintillants de strass et de pierreries, ornés de plumes multicolores et immenses.
Le théâtre du Canecão est bondé de personnalités, de journalistes et on se presse pour admirer ces véritables oeuvres d'art pesant parfois plusieurs kilos.
Un régal pour les yeux.
Tous en piste
Le samedi soir, c'est le grand défilé des écoles de samba qui a lieu dans un lieu spécialement aménagé, baptisé "sambódromo". Une avenue de 500 mètres de long, bardée de sonorisations top niveau, conçue pour accueillir une foule enthousiaste, des personnalités, la presse internationale, les télévisions et les participants.
Dans les quartiers de Rio, le fief sacré d'un Carnaval connu du monde entier, tout est prêt.
Mangueira, Beija-Flor, Portela... Les déguisements sont cousus, ajustés sur les corps fébriles, les percussions sont vérifiées, rutilantes, les chansons sont mille fois répétées, les chars d'allégories sont décorés et une excitation indescriptible plane au-dessus de la ville.
Tous les billets sont déjà vendus depuis des mois mais quelques malins en proposent encore, faisant de la revente, au marché noir, à des prix inabordables.
Imaginez l'avenue : d'un côté, des gradins croulant sous une foule surexcitée et remuante qui chante à tue-tête, s'interpelle à grands cris, voire s'insulte, défendant son appartenance à telle ou telle école dont ils arborent fièrement les couleurs, ingurgitant de la bière et consommant une quantité impressionnante de pop-corn.
De l'autre côté de l'avenue, les loges des personnalités, le Préfet de Rio, les membres de la Riotur (office du tourisme carioca), le jury, les artistes, mannequins, riches touristes, V.I.P et tous ceux qui ont pu acheter leur loge à prix d'or.
Des milliers de figurants
D'abord il y a cette résonance, puissante et sourde, qui monte du sol en vibrations intenses, comme un battement de coeur, boum-boum, boum-boum : c'est la "batterie" de l'école qui marque le tempo.
Ils sont nombreux. Normal qu'on les entende en premier, mais on ne voit personne. Pas encore. Ils sont trop loin.
Puis, soudain, voilà les porteurs de banderoles, hilares, suivis du "Mestre-sala" et de la "Porta-bandeira" : la carte de visite de l'école, vêtus comme au XVIII° siècles, perruques poudrées, souliers à boucles d'argent et crinoline chatoyante, virevoltant, dansant sur une musique dont on commence à deviner l'harmonie et qui devient de plus en plus forte.
Derrière eux, les anciens qui marchent assez lentement, esquissant parfois un ou deux pas, souriant à la foule qui applaudit à tout rompre en reconnaissant ceux qui ont "fait" les Carnavals d'il y a 10 ou 15 ans, qui sont vieux et dignes et qui ont leur "Ala" (détachement) d'honneur.
Puis vient la Ala des Bahianas. Des femmes habillées comme les vieilles esclaves, tout en blanc, avec un fichu savamment noué sur la tête, dansant avec modération, en tournant gentiment.
Elles représentent l'origine du Carnaval, né dans l'Etat de Bahia.
Et les enfants, les yeux graves, conscients de leur importance, la future génération, avec des gamines au corps encore malingre mais le rythme dans la peau, nymphettes à demi-nues, ambrées...
Et les Alas se suivent dans une orgie de costumes colorés où le satin côtoie le calicot, débauche de paillettes, d'originalité, de recherche.
Chaque école ayant son "enredo" (thème musical narrant un fait précis, une page d'histoire, un personnage) bien défini, les allégories montées sur véhicules roulant au pas affichent des tableaux vivants interprétés souvent par des visages connus, fans de "leur" école : là un mannequin célèbre, plus loin un acteur de feuilleton ou un chanteur à la mode...
La batterie
Et surgit la "batería" (les musiciens). Chaque détachement de percussions peut atteindre 350 individus. Et des percussions, il y en a beaucoup : tamborins, agogôs, atabaques, surdos, pandeiros, dans le tempo, dirigés par des sifflets des chefs d'orchestre placés de part et d'autre du groupe. Ils entourent le char principal appelé "puxador" (il y en a souvent deux autres, devant et derrière l'école) pour que la musique soit bien synchro et reprise en choeur) qui déverse, tous azimuts, l'interminable chanson (très rythmée) de l'école, interprétée au micro par deux ou trois personnes, des hommes surtout, et là, le spectacle est à son paroxysme.
La "batterie" arrive puis s'écarte pour accompagner le défilé des alas restantes. La musique fait vibrer le public et le macadam, vous monte dans le corps par les pieds, envahit votre tête par les oreilles...
Il est impossible de rester statique. Les couleurs éclatent, les percussions martèlent, les strass étincellent, la foule chante en choeur, acclame, crie, trépigne, encourage...
Assourdissant !
Puis la batterie s'en va suivie des derniers chars et des ultimes participants.
On n'entend presque plus la chanson mais reste encore le boum-boum qui persiste, venant su sol, un écho dans l'air irrespirable.
Puis plus rien.
5000 personnes viennent de défiler pendant 80 minutes.
Et ce n'était que la première école (il y en a une douzaine).
Dimanche, l'avenue s'enflammera de nouveau pour le deuxième groupe.
La fête partout
Dans le nord du Brésil, du côté de Bahia, Recife... des "trios elétricos" (camions sonorisés sur lesquels jouent des musiciens) parcourent les rues en jouant des rythmes trépidants et endiablés : frevos, maracatús, bumba-meu-boi... suivis par une foule excitée et joyeuse.
A voir absolument : le Carnaval de Olinda. Un grand moment !
Et le "galo da madrugada", une bande géniale qui sévit dans le quartier de Boavista, avenue Gurarapés : 4 millions de personnes dans les rues.
La "caipiúva" (caiprinha de raisin) coule à flots.
Tout le temps que dure le Carnaval, les clubs sont pleins, les discothèques bondées. Des bals sont organisés partout dans le pays. Quatre soirées et deux matinées pour les enfants. Les orchestres sont doublés et jouent une demi-heure chacun, à tour de rôle, pour tenir de 20 heures à l'aube sans casser le rythme, sans arrêter la musique.
Et la foule est là, luisante de sueur, les cheveux pleins de confettis, de cotillons, dansant, virevoltant, quasiment en transe avec cette musique nerveuse et contagieuse.
Tout est permis dans ce délire : déguisements, provocation du nu à peine voilé, maquillages outranciers, bains de minuit dans l'océan, la liberté, orgies et relâchement des moeurs...
Lundi, ce sont les enfants qui défilent. Un spectacle charmant où les talents se révèlent déjà.
Et arrive le mardi-gras.
Personne n'est fatigué, on continue de danser, de rire, de boire.
Les "blocos" (petites formations de quartier) qui envahissent les rues depuis quatre jours s'en donnent à coeur joie.
Le commerce des boissons est florissant, les vacances sont générales (c'est l'été au Brésil), pas une rue inanimée, les bars sont pleins, tous chahutent, s'esclaffent.
Le pays entier est sous l'emprise de la liesse collective et ce sera ainsi jusqu'à mercredi.
C'est pas fini !
Bien que le mercredi des cendres soit le début de la Quaresma (le Carême, quarante jours de piété et d'abstinence selon les rites chrétiens), le Brésilien fera toujours la fête.
Mercredi on libère généralement ceux qui sont restés gardés à vue pendant le Carnaval et qui ont donc raté la fête.
Alors, ils se déguisent et sortent en bande pour défiler, eux aussi, en groupes hilares et bon enfant.
Ce sont les "cordões dos puxa-saco" (intraduisible).
Huit jours après la fin du Carnaval il y aura les "bailes da ressaca" (bals de la gueule de bois) pour continuer encore un peu l'ambiance chaude et délirante des jours passés et fêter le classement des écoles ayant défilé, dont le verdict tombe implacablement pour certains et heureusement pour d'autres... |
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