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Moutik Animateur
Inscrit le: 06 Apr 2008 Messages: 1236
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écrit le Monday 13 Jul 20, 5:15 |
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Lucestre ou Limestre, n. m. Drap fin de laine.
Vraisemblablement de Leicester.
Les draps fins de Rouen étaient souvent comparés à ceux de Leicester.
Mais maintenant le monde est tout detravé de louchetz des balles de lucestre, l'un se desbauchez, l'aultre cinq quatre et deux et si la court n'y donne ordre, il fera aussi mal glener ceste annee, qu'il feist ou bien fera des goubeletz.
Rabelais, Pantagruel, XII
Nostre amy (respondit le Marchant) mon voisin, de la toison de ces moutons seront faictz les fins draps de Rouen, les louschetz des balles de Limestre, au pris d’elle ne sont que bourre.
Rabelais, Quart livre, VI
Il faut bien admettre que les deux phrases sont assez sibyllines, et que les notes ou gloses n’aident pas beaucoup.
Louchetz des balles de lucestre serait une locution désignant ces draps, ou les écheveaux de cette laine. |
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Moutik Animateur
Inscrit le: 06 Apr 2008 Messages: 1236
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écrit le Monday 20 Jul 20, 7:41 |
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Sur ce fil, j’avais déjà signalé une petite curiosité dans la traduction en français des Raisins de la colère, où chambray est traduit par cambrai bleu.
J’ai remarqué une curiosité analogue dans la traduction de Des souris et des hommes.
« Ils avaient descendu le sentier à la fille indienne, et, même en terrain découvert, ils restaient l’un derrière l’autre. Ils étaient vêtus tous les deux de pantalons et de vestes en serge de coton bleue à boutons de cuivre. »
Des souris et des hommes, traduction de Maurice-Edgar Coindreau, Gallimard, 1946.
Le texte original donne :
« They had walked in single file down the path, and even in the open one stayed behind the other. Both were dressed in denim trousers and in denim coats with brass buttons. »
John Steinbeck, Of mice and men, New York, Covici-Friede, 1937.
Ici aussi je pense qu’un traducteur d’aujourd’hui pourrait garder denim tel quel, ou le traduire par jean, blue-jean.
Les trois termes étant désormais bien connus en français.
Ce qui est plus curieux c’est que Steinbeck écrit « with brass buttons ». Plus vraisemblablement il pensait aux brass rivets, les rivets de cuivre, qui étaient la véritable marque de fabrique des pantalons Levi Strauss.
[Mais plus dans les années 30 où ce brevet avait expiré depuis longtemps.] |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Monday 20 Jul 20, 9:02 |
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Puisque Steinbeck parle de veste, c'est bien les boutons de cuivre qui sont le plus apparents.
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Moutik Animateur
Inscrit le: 06 Apr 2008 Messages: 1236
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écrit le Monday 20 Jul 20, 11:46 |
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@embatérienne
La veste représentée est une Wrangler, donc d'après 1947.
Ce qui certes ne veut pas dire que Lennie et George ne portaient pas de veste à boutons de cuivre... |
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Glossophile Animateur
Inscrit le: 21 May 2005 Messages: 2281
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écrit le Monday 20 Jul 20, 11:56 |
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En 1946 les bleus étaient encore, pour les Français, des vêtements de travail faits de serge de coton. Serge de coton originairement fabriquée à Nîmes, d'où son nom de denim. |
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Moutik Animateur
Inscrit le: 06 Apr 2008 Messages: 1236
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écrit le Monday 20 Jul 20, 12:01 |
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Que le mot denim trouve son origine dans le nom de Nîmes, c'est bien possible,
mais le tissu dans lequel étaient taillés les jeans était tissé à Manchester (New Hampshire)
Dernière édition par Moutik le Monday 20 Jul 20, 12:09; édité 1 fois |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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Glossophile Animateur
Inscrit le: 21 May 2005 Messages: 2281
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écrit le Monday 20 Jul 20, 12:20 |
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Moutik a écrit: | Que le mot denim trouve son origine dans le nom de Nîmes, c'est bien possible,
mais le tissu dans lequel été taillés les jeans était tissé à Manchester (New Hampshire) |
C'est bien pourquoi j'ai écrit : Citation: | Serge de coton originairement fabriquée à Nîmes | .
Reste à prouver que le lecteur français de 1946 savait ce qu'est le denim... et que ce denim était tissé à Manchester ! |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Monday 20 Jul 20, 15:19 |
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Glossophile a écrit: | Reste à prouver que le lecteur français de 1946 savait ce qu'est le denim... et que ce denim était tissé à Manchester ! |
Contrairement à jean (de Gênes) qui est entré en français dans ces années-là, denim (de Nîmes) a mis beaucoup plus longtemps à se populariser en France. Ce n'est que récemment qu'on le trouve assez fréquemment dans la presse française. Il est entré plus tôt au Québec, naturellement. Il figure dans les suppléments du TLFi :
http://stella.atilf.fr/scripts/TLFsup.exe?ADMBASE_ENTRY;ENTRY=DENIM;FERMER;AFFICHAGE=2;MENU=menu_vide;ISIS=isis_TLFsup.txt;OUVRIR_MENU=2;OO1=-1;s=s0e09139c;
Le denim des premiers jeans Levi Strauss était fabriqué à Manchester, New Hampshire, aux États-Unis, principalement avant la première guerre mondiale, dans les usines textiles Amoskeag Denim Mills qui ont fermé en 1935. Dès la fin de la première guerre mondiale, l'essentiel de la production a été transféré dans les usines Cone Mills Corporation, en Caroline, qui ont elles-mêmes fermé en 2004. |
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Glossophile Animateur
Inscrit le: 21 May 2005 Messages: 2281
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écrit le Monday 20 Jul 20, 15:26 |
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... ce qui justifie amplement le choix du traducteur : peu de lecteurs auraient saisi denim !
À d'autant plus forte raison que le denim, c'est de la serge de coton ! |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Monday 20 Jul 20, 15:49 |
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Absolument. Cela dit, pour le lecteur américain, "denim" était immédiatement clair. Pour le lecteur français, je doute que "serge de coton bleue" soit si limpide. On aurait pu se contenter de "toile de coton bleue", même si c'est plus imprécis.
Pour revenir au brevet de Levi Strauss sur les rivets, on peut le voir ici :
https://patents.google.com/patent/US139121A/en
Comme on voit, il s'agissait de placer un rivet aux extrémités des coutures qui ont tendance à se déchirer à l'usure, notamment aux coins des poches. |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Monday 20 Jul 20, 18:10 |
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Les noms jeans et denim sont assez anciens en anglais.
https://www.etymonline.com/word/jean
https://www.etymonline.com/word/denim
Je les trouve aussi dans un livre en allemand de 1812, Museum des neuesten und wissenswürdigsten ...
https://books.google.fr/books?id=BNI1AQAAMAAJ&pg=PA360#v=onepage&q&f=false
Voici les extraits correspondants :
On voit que le vocabulaire s'inspire aussi de l'anglais.
Je relève que pour le marché américain, on parle de Ammon Jeans, qui font partie des étoffes dites Manchester en allemand (plain fustians, futaines simples). Mais dans un autre livre, Waaren-Lexikon, 1814, (dictionnaire des marchandises), je vois que Ammon Jeans doit être une coquille pour Common Jeans ! Manchester y est donné pour un velours de coton
https://books.google.fr/books?id=VRZnAAAAcAAJ&pg=PA14#v=onepage&q&f=false
Quant à denim, le livre dit qu'on l'appelle aussi florentine.
On mentionne ici la florentine rayée pour les culottes, au milieu de beaucoup d'autres étoffes.
Il est très compliqué de s'y retrouver en matière de tissus à travers les pays et les âges ! |
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Moutik Animateur
Inscrit le: 06 Apr 2008 Messages: 1236
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écrit le Saturday 25 Jul 20, 7:02 |
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@Glossophile
J’ai dû mal m’exprimer.
Mon intention n’était pas de critiquer la traduction de Maurice-Edgar Coindreau.
C’eût été un peu prétentieux…
Maurice-Edgar Coindreau est considéré comme l’un des grands traducteurs de la littérature anglo-américaine du XXe siècle.
Et non seulement comme l’un de ses traducteurs, mais aussi comme l’un de ses découvreurs et divulgateurs.
En 1947, certainement très peu de lecteurs français auraient compris le mot denim, sauf quelques bons connaisseurs de l’anglo-américain, assez bons pour lire l’original et se passer de la traduction.
Le Robert donne 1973 comme date de première attestation.
Ma seule intention était de donner un exemple de comment une traduction vieillit, et parfois même se périme (Ce qui n’est pas un scoop…)
Chambray, traduit en 1947 par cambrai bleu, serait aujourd’hui vraisemblablement gardé tel quel.
Denim, traduit en 1946 par serge de coton bleue, serait aujourd’hui gardé tel quel ou traduit par jean, blue-jean.
Suggestion : entrez dans une boutique Levi’s.
Dites « Bonjour, je cherche une paire de culottes en serge de coton bleue. »
La vendeuse, ou le vendeur, devrait certainement vous répondre « Stone washed ou destroyed Monsieur (ou Madame) ? »
À moins qu’elle, qu’il, n’appelle police-secours…
Dernière édition par Moutik le Monday 31 Aug 20, 23:31; édité 1 fois |
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Moutik Animateur
Inscrit le: 06 Apr 2008 Messages: 1236
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écrit le Saturday 25 Jul 20, 7:04 |
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Steinbeck écrit :
“Both were dressed in denim trousers and in denim coats with brass buttons.”
“Like the others he wore blue jeans and a short denim jacket.”
“He wore his blue denim coat over his shoulders like a cape, and he walked hunched way over.”
“George had put on his blue denim coat and buttoned it, and his black hat was pulled down low over his eyes.”
“He was dressed in blue jeans and he carried a big push-broom in his left hand.” Push-broom : « balai-brosse »
“He wore blue jean trousers, a flannel shirt, a black, unbuttoned vest and a black coat.”
“His shirt was out of his jeans in back. In one hand he held a bottle of liniment, and with the other he rubbed his spine.”
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Moutik Animateur
Inscrit le: 06 Apr 2008 Messages: 1236
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écrit le Saturday 25 Jul 20, 7:08 |
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@embatérienne
En écrivant ma remarque sur les brass buttons j’avais l’intuition que j’allais déclencher un échange de messages picrocholin.
Mon intuition était assez bonne…
Vu le nombre de fabricants de jeans, vu le nombre de modèles que chacun a proposés, il serait à peu près vain de déterminer quels étaient les boutons ou les rivets que portaient les deux personnages du roman.
Mais ce que j’ai appris en rédigeant mon message, c’est que dès le début de la Seconde Guerre mondiale, les boutons de jeans furent évidés en leur centre, ce pour économiser de la matière première, et participer ainsi à l’effort de guerre.
Ces boutons évidés furent surnommés donut buttons.
Et puis Steinbeck était l’auteur.
Il pouvait bien écrire à sa guise brass buttons ou brass rivets.
Ou imaginer des boutons en frêne, en noyer, en houx, en buis des Appalaches, en bruyère des Ozarks, en séquoia, en amourette, en pin d’Oregon, en bois de cerf, en corne de buffle, en écaille de tortue, en osselets de grizzly, en galalithe, en bakélite, en ébonite, en nacre, en porcelaine, en ivoire, en corozo, en turquoise de l’Arizona, en corail de Hawaï, etc.
Mais le ton et le propos du roman en eût été certainement changé… |
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