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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11180 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 27 May 19, 8:29 |
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La branche celtique de la racine *BhER- "porter"
Entre Pokorny et Calvert Watkins, j'ai pu recueillir les données suivantes :
Old Irish: biru, berid vb to bear
Irish: brith n birth
Gaelic: bréith n birth
Welsh: hebrwng vb to accompany
La racine se retrouve également dans les toponymes Inverness et Aberdeen.
Ma question est : quid du gaulois ? Comment disait-on "porter" en gaulois ? J'ai parcouru tous les ouvrages de LEXILOGOS concernant le gaulois mais n'ai pas trouvé la réponse... |
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Buidheag
Inscrit le: 13 Jun 2016 Messages: 94 Lieu: Dùn Èideann
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écrit le Monday 03 Jun 19, 15:07 |
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J'ai trouvé ce qui suit dans Savignac (2014, p.275):
porter v, ber-(t)- ?
Mot lu dans inscr. (Lezoux, L-70) : Calia ueiobiu sauni tiioberte Mouno «je m’unirai à Cala, fille de Saunos, qui a porté Mounos » (?), où tiioberte s’analyse peut-être en tiio-, fait de la particule relative -io- associée au préverbe to- ou préposition ablative équivalant au lat. de, et de -ber-te « porter », au sens, ici, d’« enfanter» (même emploi que le verbe irl. beir« porter, enfanter »), 3 e pers. du prétérit.
Remonterait à la racine i.e. *bher- « porter », cf. le skt. bharati, gr. phéro, lat. fero « porter », got. baira « porter, enfanter », v. irl. berid « il porte ».
En gaélique écossais, il y a en effet bhir, qu'on trouve dans tous les 'Inbhir', par exemple Inbhir Nis (Inverness), Inbhir Lochaidh (Inverlochy), Inbhir Ghòrdain (Invergordon), Loch an Inbhir (Lochinver), etc.
Et bien sûr abair/obair qu'on trouve dans Obar Dheathain (Aberdeen), Loch Abar (Lochaber), Obar Pheallaidh (Aberfeldy), Obar Dobhair (Aberdour), Obar Chrombaidh (Abercrombie), etc...
Certains viennent du vieil irlandais, d'autres du brittonique mais mon préféré est Obar Crosain (Applecross) qui viendrait du picte Aporcrosan. Le Gaélique Obar Crosain a été supplanté par a' Chomraich (le Sanctuaire) à cause du monastère qu'y avait fondé le moine irlandais Maol Rubha mais il a donné l'anglais Applecross qui n'a donc rien à voir ni avec les pommes ni avec les croix, hihi.
Sinon, dans la langue courante, je pense à beir (attraper), à cobhair (aide assistance), et à bheir, futur irrégulier de toir (donner). |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11180 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 03 Jun 19, 18:06 |
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Merci beaucoup, Buidheag, pour cette précieuse information. Ainsi donc, il y aurait un gaulois ber- "porter", ce qui était prévisible mais il vaut mieux en avoir confirmation. Je pense que l'extension -t- ajoute le sémantisme "dans son ventre" et donne à l'ensemble le sens de "enfanter", comme on le constate dans les cognats.
Je note par ailleurs que la labiale initiale de cette vieille racine est restée bh ou a évolué vers b ou ph ou p, selon les branches. Mais le cas de Inverness (et quelques autres) nous montre qu'une évolution vers v a aussi pu se produire.
Ce qui m'amène à une autre question : est-ce que des oreilles latines entendant un b initial gaulois auraient pu le prendre pour un v / u ?
(Gastal considère vassos comme une variante de bassos, par exemple.) |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Monday 03 Jun 19, 18:15 |
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Je vous dirai ce soir ce qu'en dit le Delamarre, mais le Matasovic a une entrée *brenk- "bring" que continuent le gallois hebrwng et le breton ambroug "accompagner, reconduire", dïambroug "aller à la rencontre". L'aspiration initiale s'est perdu en breton, puisque le moyen breton avait hambrouc. Matasovic fait remonter le préfixe he-, ham- à un préfixe indo-européen *sem- "once". Le mot proto-celtique *brenk- remonterait à un proto-indoeuropéen *bʰren-k- qui résulte, pour certains, du croisement entre les racine *bʰer- "carry" et *h₂nek- "reach." |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Monday 03 Jun 19, 20:41 |
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À moins que quelque chose ne m'ait échappé, je n'ai rien trouvé dans le Delamarre, qui commente d'autres inscriptions trouvées à Lezoux, mais pas celle où Savignac lit tiioberte.
Tout à l'heure, je suis passé devant la trop évidente entrée *ber-o- "carry, bear, bring" du Matasovic auquel auraient dû me faire penser les mots bretons très usités qui en descendent : berañ "couler, goutter, suinter", berad "goutte", beradenn "goutelette" et diverañ "s'égoutter, s'écouler, dégouliner". Vous avez déjà évoqué le mot aber "embouchure" (< *ad-bero-), figé en toponymie, ainsi que le mot gaélique inbhir, que Favereau dit être préfixé différemment (< *eni-bero-s). On peut leur ajouter un autre mot délexicalisé : kemper "confluent" (< *com-bero-), que la gloire immortelle d'une préfecture a fait connaître dans tout le pays.
Papou JC a écrit: | Je pense que l'extension -t- ajoute le sémantisme "dans son ventre" |
Je connais mal la morphologie verbale du gaulois, mais j'ai l'impression que c'est tout simplement la marque de la 3ème personne du prétérit. Regarde par exemple la Wikipedia anglophone qui dans son article sur le proto-celtique présente justement les conjugaisons reconstituées du verbe *bere/o- "bear, carry, flow" et donne *bert à la 3ème personne du singulier du prétérit.
Papou JC a écrit: | Je note par ailleurs que la labiale initiale de cette vieille racine est restée bh ou a évolué vers b ou ph ou p, selon les branches. |
Le proto-celtique perd systématiquement les aspirées du proto-indo-européens, qui sont confondues avec les sonores correspondantes :
*bʰ > *b
*dʰ > *d
*gʰ > *g
*gʷʰ > *gʷ
Le cours de Outis : Eurindien 3 est une bonne introduction à ces lois phonétiques.
Papou JC a écrit: | Mais le cas de Inverness (et quelques autres) nous montre qu'une évolution vers v a aussi pu se produire. |
Oui, mais cette lénition est beaucoup plus tardive et date de l'époque de la formation des langues néo-celtiques (Vème siècle). Ta formulation, qui semble mettre cette évolution sur le même plan que le devenir du *bʰ PIE n'est pas loin d'être un anachronisme. De même, on sépare clairement les évolutions qui ont mené du PIE au latin de celles qui ont conduit du bas latin aux langues néo-latines.
Papou JC a écrit: | Ce qui m'amène à une autre question : est-ce que des oreilles latines entendant un b initial gaulois auraient pu le prendre pour un v / u ?
(Gastal considère vassos comme une variante de bassos, par exemple.) |
J'ai trouvé un indice en ce sens, c'est le baculus non vaclus de l'Appendix Probi. Cependant, le traitement inverse u̯ > b à l'initial me semble bien plus fréquent et solide : les héritiers romans du latin ueruēx "brebis" ont partout un b- initial et Uenetis "Vannes" est attesté Benetis dans la Notitia dignitatum. Quel est ce bassos dont parle Gastal ? Il paraît difficile que *uassos "serviteur" soit une variante d'un mot à b- initial, tant son étymologie par le PIE *upo-sth₂-o- "qui se tient en dessous" semble solide. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11180 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 04 Jun 19, 6:05 |
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Merci pour cette savante et bienveillante réponse à mes questions naïves. Quelques commentaires :
Jeannotin a écrit: | Tout à l'heure, je suis passé devant la trop évidente entrée *ber-o- "carry, bear, bring" du Matasovic auquel auraient dû me faire penser les mots bretons très usités qui en descendent : berañ "couler, goutter, suinter", berad "goutte", beradenn "goutelette" et diverañ "s'égoutter, s'écouler, dégouliner". etc... |
Tout cela est très intéressant mais il y a tout de même loin de porter à couler. Tu es sûr qu'il s'agit bien de la même racine ?
Jeannotin a écrit: | Je connais mal la morphologie verbale du gaulois, mais j'ai l'impression que c'est tout simplement la marque de la 3ème personne du prétérit. Regarde par exemple la Wikipedia anglophone qui dans son article sur le proto-celtique présente justement les conjugaisons reconstituées du verbe *bere/o- "bear, carry, flow" et donne *bert à la 3ème personne du singulier du prétérit. |
Tu as probablement raison : la femme enfante après avoir porté, c'est logique.
Jeannotin a écrit: | Quel est ce bassos dont parle Gastal ? Il paraît difficile que *uassos "serviteur" soit une variante d'un mot à b- initial, tant son étymologie par le PIE *upo-sth₂-o- "qui se tient en dessous" semble solide. |
C'est aussi ce que je me suis dit. Mais bon, je tenais à le signaler.
Pour Gastal, bassos est un adjectif gaulois signifiant "bas, inférieur", qui a donné le français bas. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Tuesday 04 Jun 19, 7:48 |
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Papou JC a écrit: | Tout cela est très intéressant mais il y a tout de même loin de porter à couler. Tu es sûr qu'il s'agit bien de la même racine ? |
C'est aussi ce que je me suis dit en lisant la notice du Matasovic. Je me demande si ce n'est pas plutôt la racine PIE *bʰer(u)- "source" dont parle Delamarre sous l'entrée berura, berula "cresson d'eau" (br. berer).
C'est étrange, d'après Ernoult et Meillet bassus est peut-être un emprunt à une langue italique autre que le latin, mais rien ne montre que le mot soit celtique. Je crois qu'il faut faire attention avec le Gastal, d'après les quelques pages que j'ai pu feuilleter sur internet, on y lit beaucoup de bonne chose qu'on retrouve ailleurs, mais aussi des idées de son cru qui son moins certaines. J'avais déjà tiqué sur ses prétendus infinitifs en -ar. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11180 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 04 Jun 19, 8:14 |
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Jeannotin a écrit: | Je me demande si ce n'est pas plutôt la racine PIE *bʰer(u)- "source" dont parle Delamarre sous l'entrée berura, berula "cresson d'eau" (br. berer). |
Oui, c'est la racine qui a donné notamment phréatique ainsi que les mots poétiques anglais bourn, burn "source, rivière". Watkins l'écrit *bʰreu(ə)-.
Pour revenir au sujet, il est temps que j'avoue ce que j'avais derrière la tête.
Je n'ai cessé de m'intéresser au veredus latin qui nous a jadis beaucoup occupés, Horatius et moi-même.
L'analyse faite traditionnellement du veredos gaulois originel ne m'a jamais beaucoup satisfait, je m'en suis expliqué, et j'aurais bien aimé que ce mot gaulois, dont nous n'avons en fait que la trace latine, fût plutôt beredos que veredos. Penses-tu que ce soit possible ?
Pour ce qui est de bassos, il y aurait certainement des choses à dire sur ce que Gastal appelle la racine *bacc-/ bass-. Mais c'est un sujet à part entière. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Tuesday 04 Jun 19, 11:08 |
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Je trouve que remplacer l'étymon gaulois *uoredos par **beredos ne fait que créer des problèmes phonétiques sans résoudre aucun autre problème.
Avec *uoredos, tout va bien : les Romains ne connaissaient pas le son uo- à l'initiale et ils l'ont latinisé en ue-, comme c'est attesté dans bien d'autres cas (en concurrence avec ua-) ; le gallois gorwydd dérive régulièrement de *uoredos.
Avec **beredos, on doit faire intervenir un traitement irrégulier pour expliquer le u- initial du latin, irrégulier et anachronique pour un mot attesté dès le latin classique de Martial. Ce n'est pas le latin du Bas-Empire où -u- et -b- pouvait se confondre en -β-. Et comment alors expliquer le gallois gorwydd ? S'il provient du celtique **beredos, on devrait avoir **berwydd et s'il provient d'un réemprunt au latin ueredus, on devrait avoir **gwerwydd. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11180 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 04 Jun 19, 12:31 |
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Très bien, merci ! Je remballe mon hypothèse. |
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