« Le diable a la parole »
La famille BAL
Patriarche indoeuropéen : *GwEL- [1] , « lancer, jeter »
Les branches
1. De toutes les grandes familles lexicales françaises – souvent à trois branches : latine, grecque, et germanique, ou au moins deux : latine et grecque – la famille BAL est l’une des rares à n’arborer que la branche grecque.
Le principal ancêtre de cette famille est le verbe
βαλλειν, ballein, « jeter ». En dérivent, via le latin, nombre de mots français qui contiennent le radical -
bal- :
bal, baladeur, baladin, balistique, balader, balade, ballade, ballant, ballerine, ballet, arbalète, trimballer ...
2. Cette famille a d’autres ancêtres, toujours grecs, comme
βολις, bolis, « objet lancé, dé à jouer, éclair qui jaillit »,
βολος, bolos et
βολη, bolê, « action de jeter ». En dérivent nombre de mots qui contiennent le radical -
bol- :
bolide, anabolisant [
2] ,
diabolique, discobole, embolie, hyperbole [
3] ,
métabolisme, parabole [
4] ,
symbole, péribole, ...
Nous voyons que
diabolique est de la famille. Il est issu de
διαβαλλειν, diaballein, « désunir, dénigrer, calomnier », d’où
διαβολος, diabolos, « celui qui désunit, dénigre, calomnie ». Nous pouvons logiquement en déduire que le mot
diable est lui aussi un membre de cette même famille BAL. Dérivés :
diablement, diablerie, diablesse, diablotin, endiablé
Les invités masqués
1. Il y en a trois qui font un peu bande à part avec leur radical réduit à -
bl- :
–
problème (<
προβλημα, problêma, « question posée »). Dérivé :
problématique.
–
emblème (<
εμβλημα, emblêma, « ornement appliqué »). Dérivé :
emblématique.
–
accabler : voir Curiosités.
2. De leur ancêtre commun
parabola, mot du latin d’Église signifiant « parole du Christ », lui-même du grec
παραβολη, parabolê, « comparaison », ils ont un peu chamboulé le nombre ou l’ordre des consonnes :
–
parole a perdu son -
ab- ; il est issu de
parabola par l’intermédiaire du latin populaire *
paraula. Dérivé :
parolier.
–
parler a perdu son -
abo- ; il vient en effet du latin d’église
parabolare. Dérivés :
parlement, parloir, parlote, pourparlers, reparler ...
–
palabres est un emprunt à l’espagnol
palabra, lui-même issu de
parabola par l’intermédiaire de l’ancien provençal
palabla.
Curiosités
1.
accabler a une histoire un peu compliquée. Un dérivé de
βαλλειν, ballein, le verbe
καταβαλλειν, kataballein, « abattre, renverser », a pour nom d’action
καταβολη, katabolê, d’où est issu un lat. pop. *
catabola, « lancement », qui a donné l’ancien fr.
cadable ou
caable, « catapulte ». Un dérivé de ce mot est
chablis, « arbre abattu par le vent », et aussi le vieux verbe
chabler, dont la forme normande était
cabler. C’est de cette forme qu’est issu le fr.
accabler, qui a d’abord signifié « abattre, renverser à terre (des arbres) » puis « abattre (qqn) à terre en le frappant, blesser » puis « faire succomber sous un poids » et enfin, au sens fig., « précipiter vers le bas, excéder, fatiguer ». La forme normande
accabler l’a emporté sur *
achabler pour des raisons qui demeurent obscures. Dérivé :
accablement.
2.
symbole est – via le latin chrétien
symbolum et le latin classique
symbolus – emprunté au grec
συμβολον, sumbolon, « signe de reconnaissance », dérivé de
sumballein, « jeter ensemble, joindre, réunir, mettre en contact », composé de
συν, sun [
5], « avec, ensemble », et de
ballein. Primitivement, c’était un objet coupé en deux dont deux hôtes conservaient chacun une moitié qu’ils transmettaient à leurs enfants ; le rapprochement des deux parties servait à faire reconnaître les porteurs et faisait la preuve que des relations d’hospitalité avaient été contractées antérieurement entre les deux familles.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
bal et
balle !
balle est issu du germanique *
balla, « paquet », introduit par le francique en France où il a gardé son sens propre, et par le longobard en Italie où il s’est spécialisé dans les sens de « balle pour le jeu de paume », puis de « projectile d’arme à feu ». Dérivé :
ballon, ballot, emballer, football, ...
Quant à
boule et
bulle, ils viennent tous deux du latin
bulla, « bulle d’air, objet sphérique ». Dérivé :
boulet, boulette, débouler.
2. Il y a
ballade et
balade !
Ils sont tous deux de la famille :
ballade (autrefois
balade) est un emprunt à l’ancien provençal
ballada, « chanson à danse, petit poème chanté », dérivé de
ballar, « danser ». Le dérivé
balader, qui a gardé le
l unique de l’ancienne graphie, a d’abord signifié « chanter des ballades », puis « aller en demandant l’aumône, en mendiant », et enfin « marcher sans but, flâner », d’où le déverbal
balade, « action de se promener, promenade ».
3. Il y a
ballet et
balai !
balai est un mot d’origine celtique apparenté au breton
balaen, « genêt ». Dérivés :
balayer, balayette, balayeur, balayure, balayage.
4.
balance est issu – comme son doublet
bilan via l’italien
bilancio – du lat. populaire *
bilancia, de
lanx, « plateau de balance » (voir famille
DEUX). Dérivés :
balancer, balançoire, balancement.
5.
bol, n.m., est un emprunt à l’anglais
bowl, lui-même d’origine germanique. Dérivé :
bolée.
6.
câble est hérité du bas latin
capulum, noté
caplum par contraction, également
cabulum et
cablum. La forme normanno-picarde en
ca- a concurrencé au XIIe s. la forme en
cha-,
chable du milieu de la France et l’a définitivement évincée au XVIIIe grâce à son emploi en marine. Le
a long – noté
â – de
câble vient de formes du type
cheable, chaable dues à un croisement avec l’ancien français
chaable, « catapulte », les câbles servant à la manœuvre de cette machine. (Voir
accabler dans Curiosités).
7.
catapulte, ce mot apparu plus haut à propos de
câble et d’
accabler, est sans rapport étymologique avec
kataballein si ce n’est son préfixe. Il est emprunté au XIVe s. au lat.
catapulta, lui-même pris au grec
katapaltês, « engin de guerre », composé du préfixe
kata- qui exprime un mouvement de haut en bas (voir famille
SOUS-SUR, note 2), et d’une forme dérivée du verbe
pallein, « brandir, secouer ».
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
baile, balística, ballesta, diablo, discóbolo, emblema, embolia, hipérbole, metabolismo, palabra, parábola, parlamento, problema, símbolo
port.
baile, balística, balesta, diabo, discóbulo, emblema, embolia, hipérbole, metabolismo, palavra, parábola, problema, símbolo
it.
balestra, balistica, ballare, ballerino, balletto, ballo, diavolo, emblema, iperbole, metabolismo, parlamento, parlare, parola, problema
angl.
ball, ballad, ballet, devil, diabolic, emboly, hyperbole, metabolism, palaver, parley, parliament, parlour, parole, problem, symbol
all.
Ball, Emblem, Embolie, Parabel, Parlament, Problem, Symbol, Teufel
rus.
бал, балет, баллистика, балл, баллада, болид, гипербола, дьявол, метаболизм, парламент, проблема, символ
Notes
1- Il est phonétiquement normal qu’au son /gw/ à l’initiale en indoeuropéen corresponde le son /b/ en grec.
2- Pour l’élément
ana-, voir la famille
SOUS-SUR, note
2.
3- Pour l’élément
hyper-, voir la famille
SOUS-SUR.
4- Pour l’élément
para-, voir la famille
PREMIER.
5- En grec comme en français,
n devient
m devant
b.