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  Canal de Vire et Taute (ou "canal des Ourmes")  

 

Un petit canal du Cotentin, qui pourrait avoir un certain rôle touristique dans la région

Vire-Taute

L'écluse des Ormes, à l'extrémité ouest du canal. Au-delà, c'est la Taute. Cette écluse a été ajoutée en 1853.
(Reconstitution graphique : Ch.Berg 1991)

 

 

Bassin versant
Baie des Veys

Sous-bassins
Vire, Taute

Type de voie d'eau
canal de jonction par dérivation

Relie
la Vire
à la Taute

Origine physique et administrative
Porribet (Manche) à la cote approximative 3,40 m.

Extrémité physique et administrative
Les Ormes (Manche) à la cote 2 m

Sens conventionnel de descente
de Porribet aux Ormes

longueur
12 km

Nombre d'écluses
3

Gabarit
Un petit gabarit proche du gabarit "double-narrow-boat" anglais, ou de celui du canal de Givors, soit 20,40 m sur 4,20 m, mouillage mini 1,10 m, hauteur libre 2,10 m.

 

 

Structure administrative de rattachement
DDE de la Manche, subdivision de ?

Statut actuel
Radié, géré par l'Etat (DDE)

Raisons de sa construction
Relier Saint-Lô à Carentan afin de faire de cette dernière son port maritime

Personnages concessionnaires à l'origine de sa création
Frères Seguin (qui semblent n'avoir servi que de caution morale à Colin) et Pierre Colin (1835), Alfred Mosselman et Le Maire (1838)

Personnalités importantes ayant contribué à sa construction

Préfiguration

Conception
Pierre Colin puis Alfred Mosselmann et Le Maire

Concédé en
1835

Mis en service le
15 septembre 1839

Racheté par l'Etat en
1880

.Radié
le 27.07.1957

Projet de concession
à la Communauté de Communes de la région de Daye

 

 

Porribet

L'écluse de Porribet, à l'entrée du canal côté Vire

 

Ouvrages remarquables
vestiges de fours à chaux à Porribet

Système alimentaire
Prise d'eau à Porribet

Voies d'eau adjacentes :
Aucune

Principales villes traversées :
Aucune

Départements concernés :
Manche

 

Remarques

Le "canal des Ourmes"

L'appelation du canal "canal des Ourmes" est une déformation par les mariniers du nom de la première écluse, côté Taute, l'écluse des Ormes.

D-Day

L'écluse n°2, la Tringale, a été dynamitée avec son pont en juin 1944 par les Nazis, afin de retarder l'avance des Alliés. Ceux-ci, en vitesse, ont comblé de terre le cratère laissé par le dynamitage.
Cette terre est toujours là, et empêche la navigation continue sur ce petit canal qu'il ne serait pas très difficile de réhabiliter, ce qui présente un certain intérêt touristique avec d'un côté la Vire, et de l'autre le grand réseau des marais de la Taute.

Pour en savoir plus sur ce canal :

Art et Histoire : le canal de Vire et Taute et les frères Seguin

 

Ormes

L'écluse des Ormes, à l'autre bout du canal, à son confluent avec la Taute

 


 
Pour mieux comprendre l'histoire compliquée de la canalisation de la Vire et la conception du canal de Vire et Taute...


Voici ce que nous a aimablement transmis Christophe Canivet, "passeur d'Histoire", que nous remercions vivement et dont nous reproduisons intégralement la prose ci-dessous :
 



"(...) L'autre point concerne votre mention des frères Seguin. Vous vous demandez s'ils n'auraient pas participé d'une manière ou d'une autre dans le canal de Coutances dans la mesure où ils étaient associés à COLIN pour le canal de la Vire à la Taute.

En fait, je dirais que c'est plutôt l'inverse. J'ai l'impression que leur nom n'a servi que de caution morale à COLIN pour qu'il décroche le marché du canal de la Vire à Taute et la canalisation de la Vire. Sur le papier, ils sont présents, mais dès qu'on regarde ce qu'il s'est passé concrètement, seul COLIN est mentionné, rarement en bien d'ailleurs.

Plutôt que de me répéter, je vous mets ci-après ce que j'ai trouvé dans la presse d'époque et surtout dans la jurisprudence, COLIN ayant laissé tout un tas de casseroles en moins de trois ans de présence

*
    • L'entrée en jeu de Mosselman et l'ouverture du canal de la Vire à la Taute

L'affaire Lemenuet et consorts étant suspendue, l'adjudication du marché peut suivre son cours.

Qui dit adjudication dit mise à prix. En l'occurrence, on prend le coût de l'opération (acquisition des terrains et travaux confondus) tel qu'il a été estimé par les ingénieurs des ponts-et-chaussées dans leurs dernières études préparatoires.

Dans une vente aux enchères, chaque enchérisseur propose un prix toujours un peu plus élevé que celui qui vient de parler, prix que le dernier enchérisseur est tenu de payer à l'issue de l'audience. En matière d'adjudication de travaux publics, du moins à l'époque, le système est inversé. C'est celui qui aura proposé le plus gros rabais par rapport à l'estimation des ingénieurs qui décroche le marché, prétendant qu'il pourra mener l'affaire à bonne fin avec X budget de moins que ce qui a été initialement prévu. Ce n'est qu'un pari, un premier pari. Il reste à décrocher les emprunts permettant de financer le chantier, trouver les entrepreneurs qui vont exécuter les travaux... Gare à la déconfiture ! Il faut être capable de tenir ses engagements.

Ce système a un effet pervers. Il faut déjà se dire que les ingénieurs publics qui fixent la mise à prix sont des spécialistes, parmi les meilleurs experts du pays. Quand ils réalisent, consciencieusement, le cahier des charges et leur devis estimatif, ils calculent les coûts au plus juste, en fonction des techniques du moment. Si vous proposez un rabais trop fort, cela revient à dire qu'ils ne connaissent pas leur métier. On en connaît qui se sont vexés pour moins que ça. Or, ce sont les mêmes individus qui assureront la réception des travaux... Mais, proposer un rabais trop important, c'est surtout s'exposer à rogner sur ses marges, sur la qualité des matériaux et des travaux. Et on ne parle pas des impondérables qui se révéleront toujours en cours de chantier. Par définition, ceux-ci ne peuvent être que des coûts supplémentaires qui s'ajouteront au cahier des charges. En résumé, le montant indiqué pour la mise à prix résulte déjà d'un équilibre précaire et, en pratique, le coût définitif des travaux dépasse toujours, ou presque, la mise à prix hors rabais...

L'autre pari qu'effectue le concessionnaire, c'est sur le bon accueil de l'ouvrage concédé une fois qu'il sera achevé. Même en supposant que la circulation augmente autant que prévu, le tarif fixé par l'ordonnance ne prévoit qu'un droit proportionnel très modique qui imposera des volumes énormes pour être rentable. Mais cela suppose déjà qu'on ait atteint la phase d'exploitation...

Quid en l'espèce ?

Une étude dressée en 1830 table sur une dépense totale de 450.000 fr. pour les deux pans de la concession, dont 60.000 fr. pour les « indemnisations »1. Mais qu'entend-on par ce mot ? S'agit-il seulement des parcelles ou portions de parcelles à proprement parler expropriées ? Ou inclut-on dans ces « indemnisations » les pertes de jouissance concernant les parcelles qui seront provisoirement occupées par les travaux ou qui seront définitivement coupées en deux par le canal ? Et que vaut cette promesse selon laquelle plusieurs riverains auraient d'ores et déjà renoncé à toute indemnité ?

On peut donc déjà se dire que cette estimation des « indemnisations » n'est pas forcément fiable et qu'elle pourrait facilement être révisée à la hausse, notamment en cas de contestation en justice.

Or, ces 60.000 fr. sont à peine couverts par les subventions (80.000 fr.). Autrement dit, celles-ci vont être mangées avant même le début des travaux, et les 370.000 fr. restant devront être financés sur les fonds propres d'éventuels actionnaires ou à crédit, crédits qu'il faut déjà réussir à obtenir et qu'il faudra rembourser grâce à l'exploitation de la rivière et du canal, avec des marges infimes...

Finalement, en 1835, la mise à prix sera fixée à 500.000 fr. C'est déjà 10 %¨de plus qu'en 1830, un dixième de travaux en plus que ceux prévus quatre ou cinq ans plus tôt. Et on n'a toujours pas été confronté aux impondérables qui ne se révéleront par définition qu'au cours des travaux.

Trois candidats se présentent. Alors que leur principal concurrent propose un rabais de 18% sur cette mise à prix, les sieurs Seguin frères2 et Colin poussent jusqu'à 21%. Par arrêté préfectoral du 23 avril 1835, ils emportent donc le marché, avec jouissance des droits à percevoir sur ce canal3 pendant quatre-vingt-dix-neuf années4. Cette concession est confirmée par une ordonnance royale du 1er juillet suivant, détaillant le cahier des charges5.

Afin de financer l’opération, une société en commandite par actions est constituée6. Exit les frères Seguin, leur nom a simplement servi de « caution morale » ? La nouvelle société s'appellera Pierre Colin et Compagnie. Et, ultérieurement, toutes les sources qui évoqueront les travaux effectifs ne citeront que le seul Colin. Le siège social est d'ailleurs établi au domicile personnel de ce dernier : 3, rue Neuve-du-Luxembourg7 à Paris.

Le capital social est fixé à 800 000 fr., divisé en 800 « actions » de 1.000 fr. chacune, négociables en bourse8. On notera que, sous la Monarchie de Juillet, certaines actions produisent intérêt en sus des dividendes9.

Pour attirer les investisseurs, Colin promet monts et merveilles. Il fait miroiter un volume de transport de 150.000 tonneaux chaque année10, un produit annuel net de 70.000 fr. Surtout, il affirme que :


Les travaux sont en pleine activité, La navigation sera ouverte sur une partie du canal vers la fin de mars. Le canal sera entièrement terminé pour le mois de septembre prochain, les actionnaires recevront donc avant un an des dividendes en plus des intérêts à la charge du concessionnaire ; il n’est pas d’affaires qui présentent d’aussi prompts et avantageux résultats.


Il vient à peine d'être désigné, les terrains sont à acquérir, les entrepreneurs à sélectionner, les ouvriers à recruter et les travaux n'ont pas dû bien avancer pendant l'hiver, s'ils ont réellement commencé. Colin ne connaît pas la Normandie et ses marais, son humidité qui vous vient par dessus et par dessous... Et cette faconde méridionale va-t-elle être bien accueillie sur place ? Marseillais ou parisien, c'est un horsain, la défiance pour l'étranger risque bien de doubler la prudence naturelle du Normand et son sempiternel p't-être ben qu'oui, p't-être ben qu'non pour éviter de prendre position...

On lui a donné quatre ans pour réaliser les travaux et lui serait capable de les achever en moins d'une année ? Visiblement, il va vouloir mener tous les chantiers de front, au risque de ne trouver le financement pour achever aucun d'entre eux, au risque aussi qu'un incident sur un des chantiers propage son impact sur ses voisins, voisins par définition non consolidés et donc particulièrement vulnérables. C'est comme proposer un rabais 21 % sur les prévisions initiales des ingénieurs publics, c'est énorme ! Les ingénieurs ont-ils pu se tromper à ce point ? Colin risque bien de s'attirer leur inimitié...

Quant au pari sur la rentabilité future du double ouvrage, canaliser la Vire et lui adjoindre un canal entre Vire et Taute pour favoriser le commerce, peut-être, mais on part de loin, quasiment de zéro. Si le canal est concédé pour 50 ans et la Vire pour 99, cela prouve en soi que, dans l'esprit des pouvoirs publics, même si tout se passe au mieux, l'ouvrage mettra longtemps avant d'être rentable. Ne jamais oublier non plus que si ces mêmes pouvoirs publics mettent en avant une augmentation du commerce à venir et les recettes fiscales en découlant, ils comptent surtout sur une nette baisse des dépenses d'entretien des routes si les charrois chargés de tangue n'ont plus à aller jusqu'à l'estuaire. C'est une économie si on regarde l'opération dans sa globalité, mais elle ne concerne que les pouvoirs publics ; c'est un poste comptable que ne peut pas prendre en considération ni le concessionnaire ni ses actionnaires.

Or, pour tenter de tenir ses engagements, il semble que Colin va user de méthodes bien contestables. Deux exemples suffiront à illustrer les effets pervers du système des mises aux enchères au rabais, façon Colin.

Le 11 juin 1837, une colonne de 300 ouvriers, embauchés en Bretagne11, traversent Saint-Lô pour rejoindre leur chantier. La moitié d'entre eux sont de retour le surlendemain, au bord de l'émeute. Leur nombre, un homme sur deux, laisse bien penser qu'une fois sur place, on leur a présenté des conditions de travail et des modalités de rémunération qui n'étaient plus du tout celles promises au pays. Mais la presse de l'époque préfère encore à ce stade attribuer tous les torts à la mauvaise volonté des candidats à l'embauche12.

On pourrait le croire si c'était un cas isolé. Mais on a au moins une autre preuve patente de la pingrerie de Colin. Début août 1838, l'écluse des Claies de Vire, presque achevée, est à reconstruire entièrement. Elle s'effondre sur elle-même. Implantées sur un « très mauvais terrain », ses fondations nécessitaient des soins tout particuliers qui n'ont pas été pris par l'entrepreneur sélectionné par le concessionnaire. C'est déjà en soi une perte d'argent qui va plus que doubler les coûts et il est d'ores et déjà certain que l'ouvrage ne sera pas achevé avant l'automne. Dans son rapport du 1er août, Dan de la Vauterie espère seulement que les pluies ne seront ni trop précoces, ni trop intenses, pour permettre d'achever cette écluse avant l'hiver sinon ce qui aura été commencé risque d'être anéanti et ce sera une année de perdue, à cause d'une économie de première intention13... Hélas ! Cent fois hélas ! Cet automne-là, les inondations atteindront un niveau exceptionnel, peut-être centennal voire totalement inédit, aggravé par les travaux !

Les sieurs Seguin frères et Colin ne vont pas mener les travaux jusqu'à leur terme, ils ne seront plus là pour voir ce désastre. Suite à « arrangements particuliers » pris entre les intéressés, le Préfet de la Manche leur substitue les sieurs Mosselman et Le Maire, par un arrêté en date du 4 septembre 183814. En d'autres termes, Mosselman a racheté la concession.

Ce n'est pas le seul projet qu'il reprend ce jour-là puisque, toujours associé à Lemaire, il est également nommé en lieu et place des sieurs Polonceau15 et Colin16 concernant la concession pour 49 ans du canal à percer entre Coutances et le pont de la Roque17.

Nous ignorons les termes exacts de la convention qui le lie à ses prédécesseurs. Mais il faut espérer que le jeune industriel, vingt-cinq ans à peine, a bien rédigé sa clause de garantie. L'écluse des Claies de Vire n'est qu'un des errements nés avant le rachat, du fait de Colin, qu'il devra rattraper.

Au 1er août, autant dire au moment de la reprise, sur la Vire, l'écluse de Saint-Lô était terminée. Celle du Maupas était sur le point de l'être. En revanche, nous l'avons évoqué, celle des Claies était à reconstruire de zéro, depuis ses fondations, et le barrage du Porribet n'était même pas commencé. Ce faisant, le canal de la Vire à la Taute était entièrement percé. Mais, en plusieurs endroits ses berges s'étaient effondrées et on travaillait à rendre au tracé son profil et sa profondeur. « On » avait probablement voulu avancer trop vite, sans prendre toutes les précautions utiles voire élémentaires dans ce sol marécageux, tourbeux, proie à toutes sortes d'infiltrations... Bref ! Le temps gagné de prime abord avait été reperdu et, comme pour l'écluse des Claies, il fallait espérer qu'on ait le temps de tout consolider avant la mauvaise saison. Or, puisque le barrage du Porribet, à l'entrée la plus haute du canal n'était pas commencé, en cas de précipitations excessives, la rivière en crue pourrait se déverser sans aucun garde-fou dans la nouvelle voie qui lui était tracée, en plein dans ces berges fragiles, au moins jusqu'à l'écluse de la Tringale qui venait tout juste d'être achevée, tout comme le pont jeté dessus, pour faire passer la route royale de Cherbourg à Vire (la route de Carentan pour les Saint-Lois). Aux abords immédiats de ce double ouvrage d'art de la Tringale, seul point rocailleux de tout le parcours, il restait d'ailleurs encore à élargir la voie d'eau, à laquelle on n'avait d'abord donné que la moitié de sa largeur. Bref ! Il fallait prier pour que les cieux soient cléments, au propre comme au figuré...

La substitution de concessionnaires n'est pas officialisée que Mosselman s'installe à Saint-Lô, pour diriger lui-même les travaux18. Rappelons qu'il est ingénieur de formation. Et, contrairement à Colin, qui avait voulu tout traiter en même temps, multipliant les chantiers et donc le personnel nécessaire, il va choisir de faire avancer les travaux tranche par tranche. Priorité est donnée au canal de la Vire à la Taute proprement dit. Rappelons que du point de vue du conseil général et de la préfecture, le percement de ce canal est indispensable pour redonner à Saint-Lô un accès à la mer effectif, accès perdu depuis que les voisins calvadosiens ont installé des portes à flots sur le pont du Vey, empêchant les voiliers de remonter la Vire à marée montante. Et ce canal sera aussi bien utile pour rester entre soi, entre Manchois.

Seulement, les craintes de Dan de la Vauterie vont se réaliser. L'automne 1838 va être complètement pourri. Il va pleuvoir et pleuvoir encore. Les rivières sont en crue. On atteint des niveaux jamais vus par « des vieillards de soixante-quinze ans ». Non seulement le chantier est noyé pendant plusieurs semaines mais, en plus, les concessionnaires doivent indemniser les riverains de la Vire situés en aval du Porribet. Une double expertise va en effet considérer que les travaux du canal ont aggravé, tant dans leur étendue que dans leur durée, les effets des inondations, pourtant habituelles en cet endroit19.

Alors que ses travaux semblaient être sur le point de s'achever au 1er août 1838, le canal de la Vire à la Taute n'est finalement ouvert à la navigation que le 15 septembre 183920. Les travaux se seront étalés de 1836 à 1839. Ils auront nécessité l'emploi de 250 ouvriers, outre 300 détenus militaires espagnols cantonnés à Carentan. En outre, les fortes crues de 1838 ont démontré la nécessité d'une deuxième écluse, à l'entrée est du canal, au Porribet. Accessoirement, celle-ci va permettre de mieux contrôler les allers et venues dans le canal, donc le paiement des droits de navigation. Une troisième écluse, celle des Ormes21, sera ajoutée en 1853 à l'autre extrémité, directement à la jonction du canal avec la Taute, à quelque distance de l'écluse de la Tringale. Il arrivait en effet régulièrement jusque là que le bief formé entre la Taute et la Tringale22 ne présentait pas la jauge nécessaire à la navigation, lorsque la marée montante n'était pas assez forte pour y apporter suffisamment d'eau.

Ces imprévus techniques sont loin d'être les seuls obstacles qu'il fallut surmonter avant de pouvoir ouvrir le canal. Nous jetterons un voile pudique sur toutes les difficultés, surtout procédurales, qui ont présidé à son érection, notamment à Saint-Lô23. Les prédécesseurs de Mosselman avaient fini par jeter l'éponge. Ce canal était un gouffre ! Tous ces travaux supplémentaires, toutes ces procédures étaient des surcoûts non prévus dans le cahier des charges.


2 Les frères Seguin sont les petits-neveux des frères Montgolfier. Ils sont cinq (Marc, Camille, Jules, Paul et Charles) auxquels il faut généralement ajouter leur beau-frère Vincent Mignot. Marc, l'aîné, est le concepteur du premier pont suspendu (1822) et l'inventeur de la chaudière tubulaire conçue tout d'abord pour des bateaux à vapeur naviguant sur le Rhône (1827) puis adaptée deux ans plus tard à une locomotive. Les frères Seguin sont notamment connus pour avoir été les concessionnaires de la toute première ligne de chemin de fer ouverte aux voyageurs en France, entre Saint-Étienne et Lyon (1832), non loin de leur ville natale d'Annonay. On leur devra également de nombreux ouvrages d'art métalliques. Plus de détails sur Vie et Oeuvre de Marc Seguin et freres – art-et-histoire.com.

3 Il s'agit essentiellement des droits de navigation, déterminés par un tarif annexé à la loi, et droits de pêche, mais Mosselman proposera aussi à la vente ou à la location la force motrice de ses chutes d'eau (Le Constitutionnel 26/05/1852 & La Patrie 03/10/1852). Accessoirement, il est également devenu propriétaire de très nombreuses parcelles sur les bords de Vire.

7 C'est assurément son domicile puisque l'adresse revient systématiquement pour chaque société qu'il dirige. Elle apparaît ainsi dans la publicité légale annonçant la dissolution de la société qu'il a créée en vue du percement du canal de Coutances (voir infra), cette annonce précisant au passage son état-civil complet (Gazette des Tribunaux 14/07/1838).

Pierre Jacques Gabriel Colin est né le 18 septembre 1796, à Marseille, où son père était lui-même entrepreneur de travaux publics (voir son mariage, en 1820, toujours à Marseille : AD 13 – Marseille – M – 1820).

Mention expresse de cette double qualité de siège social et de domicile personnel est apportée lorsque Colin annonce que « le paiement des intérêts se fera au siège de la société, chez M. Pierre Colin, rue Neuve-Luxembourg, n.° 3 » (Le Constitutionnel 30/04/1836).

Cette rue Neuve-Luxembourg est l'actuelle rue Cambon. Elle débouche, au n° 1, sur la rue de Rivoli, face à une des entrées du jardin des Tuileries.

8 Dans les jours qui suivirent l'annonce de Colin, début mars 1836, les actions montèrent à 1050 fr. Début avril, on n'en offrait plus que 1025 fr. Mais il semble en fait que très peu de titres se soient échangés, le Temps répétant sempiternellement en 1838 qu'il n'y avait eu aucun mouvement sur les deux derniers termes semestriels.

9 Il existe alors plusieurs types d'actions. Si toutes donnent droit de participer à la vie sociale, notamment aux dividendes, seules les actions de capital, dont le montant a été versé en argent ou en valeurs équivalentes, donnent lieu à un intérêt du capital versé, indépendant des résultats de l'entreprise (Les émetteurs sur le marché financier français, 1800-1840 / Pierre-Cyrille Hautcoeur & Carine Romey (2006). Il n'est donc pas étonnant que l'annonce du 21 février utilise textuellement le terme d'action, et donc qu'elle parle bien des dividendes espérés, mais aussi, en sus, « des intérêts à la charge du concessionnaire ».

10 Il faudra attendre 1844 pour que les 100.000 tonneaux soient enfin atteints (Le Moniteur Universel 16/03/1845). Et encore, sur ces 109.000 tx, il faudra compter 30.000 tx de tangue, qui rapportent des droits de navigation dérisoires, et 39.000 tx à vide qui ne rapportent... rien. Les 150.000 tx étaient encore loin. Ne parlons pas des dividendes promis puisque, ledit tonnage de 1844 n'a produit que 28,862 fr. de revenus bruts (Le Moniteur Universel 28/05/1845). Il fallait encore défalquer toutes les charges pour atteindre le net... Puisque Colin est de Marseille, autant dire qu'avec lui une sardine peut boucher le port.

11 Venant, le cas échéant, du chantier du canal de Nantes à Brest.

14 Selon Rémy Villand, dès l'origine, on a entendu sous la dénomination unique de Canal de Vire-et-Taute les deux portions de la concession et ce n'est que depuis le rachat de la concession par l’État, en 1880, que la dénomination de Canal de Vire-et-Taute s'applique seulement au canal de jonction proprement dit (o.c. p. 143). Il faut donc comprendre que ce sont bien les deux parties de la concession qui sont transférées à Mosselman par cet arrêté.

15 Antoine-Rémy Polonceau

16 Il s'agit du même Pierre Colin, toujours domicilié au 3, rue Neuve-du-Luxembourg.

Comme pour le canal de la Vire à la Taute, dès qu'il a été adjudicataire de la concession, il a constitué une société en commandite par actions pour financer l'opération. Les statuts sont d'ailleurs rédigés par le même notaire pour les deux sociétés, ce qui tend à confirmer que c'est bien lui qui tire les ficelles et pas les frères Seguin là-bas ou Polonceau ici. Constituée le le 9 février 1837, la société coutançaise est dissoute par acte des 30 juin et 4 juillet 1838, avec effet au 9 février 1838 (Gazette des Tribunaux 14/07/1838).

Désigné comme ingénieur civil, entrepreneur de travaux publics ou entrepreneur de ponts-et-chaussées à Paris, il reviendra s'installer à Marseille comme architecte, finissant par tomber en faillite.

17 Annuaire du département de la Manche (1840) p. 59

Cet autre pont de la Roque séparent les communes d'Orval et d'Heugueville, sur la Soulles, juste avant son confluent avec la Sienne.

Les prédécesseurs de Mosselman avaient obtenu ce marché par adjudication du 2 décembre 1836, approuvée par M. le Ministre des travaux publics, de l'agriculture et du commerce le 10 avril 1837

Les canaux étant toujours en vogue, à cette date, on parle à nouveau de percer un grand canal du Cotentin qui traverserait entièrement la presqu'île de Portbail à la baie des Veys, de canaliser les rivières débouchant dans la baie du Mont-Saint-Michel, de dessécher une partie des grèves de cette baie. On a même entamé les premières études pour canaliser la Vire-supérieure, entre Saint-Lô et Vire (et de là éventuellement jusqu'en Mayenne, en direction de l'océan).

18 Annuaire du département de la Manche (1839) p. 79

Si sa préface est rédigée le 1er décembre 1838, le contenu de l'ouvrage est bouclé depuis l'été. Le « il paraît que » utilisé pour mentionner la substitution nous place juste avant ou aux environs de sa publication officielle.

20 Il fonctionnera jusqu'en juin 1944, les Allemands ayant fait sauter l'écluse de la Tringale et son pont pour retarder l'avance des Alliés. Dans le feu de l'action, ceux-ci se contenteront de parer au plus pressé en comblant le sas avec de la terre pour passer, cette terre n'ayant jamais été enlevée depuis...

21 D'où son appellation locale de canal des Ourmes.

22 C'est le point culminant du parcours.

23 Dans son article sur les Canaux de la Manche, le Saint-Lois Théophile Garnier évoque l'ouverture du canal et blâme tous les pessimistes qui se sont opposés à sa création malgré tous les apports que l'ouvrage promettait. Or, remarque-t-il : « C'est de la ville de Saint-Lô que sont parties le plus de clameurs contre le canal; c'est dans son sein que les Concessionnaires ont trouvé le plus d'oppositions à combattre, de difficultés à soulever, de procès à soutenir ! » (Annuaire du département de la Manche (1840) p. 296).

Comme illustration de tous ces procès, on peut citer celui qui opposa Mosselman à M. de Robillard pour une terre située à Saint-Fromond. Le litige était né sous les premiers concessionnaires, puisqu'on évoque une convention du 18 mai 1838, antérieure donc à la substitution, prévoyant que l'indemnité d'expropriation serait versée directement au fermier de M. de Robillard. Or, un litige étant apparu sur le montant à verser, ledit fermier avait fini par attraire son bailleur devant les juridictions judiciaires. Mosselman, appelé en garantie, soulevait l'incompétence matérielle du tribunal au profit du conseil de préfecture. Le litige, toujours pendant lorsque Garnier écrivait, remonta jusqu'à la chambre des requêtes de la Cour de cassation, qui, par un arrêt du 15 décembre 1841, donna raison à l'industriel (Le Droit 30/12/1841).

Par ailleurs, le cahier des charges déterminait la largeur des ponts à construire pour permettre le franchissement des routes (royales ou départementales) et des chemins vicinaux interceptés par les travaux. En pratique, outre la route royale de Cherbourg à Vire, le canal de Vire à la Taute ne devait traverser que trois chemins vicinaux, ce qui, au passage, nous renseigne sur les difficultés de communication antérieures dans ces marais puisque, rappelons-le, le canal se développe sur près de douze kilomètres de long. Mais quid du franchissement des chemins, communaux ou d'exploitation, qui n'étaient pas classés ? La commune de Montmartin-en-Graignes réclama aux concessionnaires la construction d'un pont pour le franchissement du chemin de la Maltote, simple chemin communal. La préfecture lui donna raison. Mais, par un arrêt en date du 25 mai 1841, le Conseil d'état libéra Mosselman de cette obligation, considérant que seules les voies de communication classées y étaient soumises (Rec. Lebon (1841) p. 213).

Même si ces deux procès étaient gagnés, c'était des frais d'avocat, du temps et de l'énergie perdus et des fâcheries occasionnées. Et encore, nous ne citons là que deux décisions qui ont eu le privilège d'être publiées. Il peut y en avoir bien d'autres.

Les riverains du canal de la Vire à la Taute n'étaient pas les seuls à se plaindre. L'ouverture du canal laissait également supposer une augmentation du nombre des charrois qui circuleraient à l'avenir en ville, à Saint-Lô, notamment dans la rue Torteron, laquelle était alors particulièrement étroite, surtout au niveau des Grouais, deux massifs d'antiques masures qu'il convenait d'abattre afin d'élargir le passage (Annuaire du département de la Manche (1840) p. 53).

L'autre difficulté qui perturbait M. Dan de la Vauterie, l'ingénieur en chef des Ponts-et-chaussées, avec toute cette recrudescence de la circulation à venir dans l'agglomération saint-loise, c'était qu'il ne disposait que d'un seul pont à bascule pour tout le département, pour vérifier le poids en charge des voitures. Or, celui-ci se trouvait à l'autre bout de la ville, au carrefour de la bascule (auj. Rond-point du Major Howie), à l'intersection de la route de Torigny et de la rue du Rossignol (tandis que les Archives départementales et le cimetière municipal, où se trouve le monument funéraire de Louis Heulin, sont, de nos jours, de l'autre côté dudit rond-point, à l'entrée de la rue de Bayeux). Il était donc extrêmement facile de le contourner pour se rendre dans les campagnes environnantes."





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